Le monde d'ARN

2/2/2008



1950 - Harold Hurey propose que l'atmosphère primitive ait été réductrice, riche en méthane et en ammoniac

Miller1999
1953 - S Miller (photo, avec son montage expérimental historique) montre que des acides aminés (briques des protéines des êtres vivants) apparaissent sous l'influence de la lumière et de la chaleur dans une reconstitution de l'océan primitif. Vous pouvez consulter ici l'article original paru dans "Science" en 1953.

1958 - S. Fox montre que les acides aminés chauffés à l'état solide s'organisent en petites sphères, les proténoïdes. Cependant, ceux cis ne peuvent se reproduire, donc évoluer.

1960-1980 - Outre les protéines, des acides aminés peuvent se former dans la "soupe primitive" et s'accumuler dans des petites flaques... mais comment les acides aminés peuvent-ils se reproduire sans les protéines? Et d'où viennent les protéines s’il n'y a pas d'acides aminés pour les produire ? On tourne en rond...

1980 - T. Cech démontre que Acide Ribo Nucléique (ARN) est capable de se réparer et de se recopier seul, sans l'intervention de protéines: il est à la fois gène et enzyme.

1986 W. Gilbert propose la théorie du monde d'ARN: les premiers organismes étaient de simples molécules d'ARN qui se sont aidés de molécules de protéines pour se reproduire plus facilement.Cet ensemble ARN+protéines s'entoure ensuite d'une membrane lipidique qui concentre et protège les molécules. Par la suite, l'ARN est remplacé par de l'ADN, plus stable.

1999-2000 P.Forterre et S. Doolittle signalent que, au vu des spécificités biochimiques et génomiques des eucaryotes, des bactéries et des archéobactéries, la théorie d'un ancêtre unique des formes vivantes est sans doute erronée : la vie serait apparue plusieurs fois, dans des environnements et des conditions différentes, et ces formes de vies primaires différentes évoluant simultanément se seraient enrichies mutuellement par des transferts de gènes. Certaines auraient disparu, trois au moins seraient à l'origine du monde vivant terrestre.

Actuellement J Szostak et M. Eigen ont montré que l'ARN permettait toutes les réactions chimiques caractérisant un organisme. On cherche actuellement comment l'ARN a pu s'entourer d'une membrane.


Chaud ou froid ?

origine
Une controverse existe quant aux conditions thermiques du milieu ou l'ARN primitif a été synthétisé. Comme on pensait que les formes de vies les plus primitives étaient les archaebactéries, vivants dans des milieux chauds, on à conjecturé que l'ARN avait une origine impliquant des hautes températures. En 1999, l'étude des ARN ribosomaux (Galtier- Gouy- Tourasse. Pour la science 257, 03/1999 p 32) montre que ces derniers ne contiennent pas assez de Guanine et cytosine pour avoir résisté aux hautes températures (54% au lieu de 60% minimum). Selon ces auteurs, le dernier ancêtre commun (si tant est qu'il y en ait eu un et un seul!), devait vivre en milieu tempéré. Cependant, un ré-examen des conditions de cette étude (Moulton, 2000) ainsi que d'autres considérations (Di Giulio, 2000) laissent entendre que l'ARN ancestral prend bien son origine dans un milieu chaud.

En novembre 2003, dans une interview parue dans le n° 369 de la revue "La recherche", S. Miller suppose que la "soupe primitive" était en fait très froide, voire partiellement gelée. Il propose que la concentration des premières molécules prébiotiques, dont les ARN, se soit produite lors de la congélation d'un mélange, l'eau pure gelant et les composés organiques se trouvant de plus en plus concentrés dans la phase liquide du milieu en cours de solidification. A l'appui de sa thèse, il cite une synthèse de purines et pyrimidines obtenues en laissant simplement pendant 27 ans une solution de cyanure d'ammonium à - 80°C...





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Avantages:
Cette théorie, dominante, dispose de preuves expérimentales, et de l'appui de scientifiques de tout premier ordre (
dans un monde scientifique idéal, cet argument "d'autorité" ne voudrait rien dire, mais dans la recherche réelle il est important, les recherches et surtout leurs budgets étant orientés selon les "modes " du moment). Cependant, elle ne fournit pas encore un schéma clair et complet, loin de là. Certaines questions gênantes sont laissées en suspend (voir plus loin). De plus, elle fait l'hypothèse que les ARN ancestraux ressemblaient aux nôtres, et que, synthétisés "ex nihilo", ils ont constitué le premier support moléculaire de l'information génétique.

* Les découvertes récentes de toute une famille d'ARN "interférents" liés au contrôle de l'expression des gènes des cellules eucaryotes, renforce l'idée que le contrôle des cellules est assuré conjointement par les protéines et les ARN, ce qui constituerait un signe de l'origine commune de ces deux classes de molécules au commencement de la vie eucaryote...

* L'atmosphère primitive n'avait pas la composition prévue par Urey: elle était bien plus riche en gaz carbonique et en azote. Cependant, une atmosphère réductrice aurait pu s'établir sous l'influence du rayonnement solaire, mais la température à la surface de la Terre devait être bien plus élevée que ne le pensait Miller.
La composition de l’atmosphère primitive n’a toutefois pas été un frein à la formation des acides aminés. Faisant suite à d’anciens travaux (Bada JL, Lazcano A. Prebiotic Soup-Revisiting the Miller Experiment. Science 2/05/ 2003: Vol. 300. no. 5620, 745 - 746) l’équipe de J Bada a annoncé avoir obtenu une synthèse d’acides aminés à partir d’une atmosphère primitive neutre composée d’azote et de CO2 (Bada & al., 2007)

En 1983, l’expérience de Miller, refaite dans cette atmosphère, n’avait pas permis d’obtenir des acides aminés. L’équipe de Bada a montré qu’en fait il se formait bien des AA, mais qu’ils étaient détruits à la fois par des nitrites formés eux aussi dans le milieu réactionnel et par le pH acide de celui-ci. Si l’on considère que la Terre primitive permettait de trouver facilement, dans le milieu réactionnel, des ions comme le fer ou des molécules comme des carbonates (ce qui semble tout à fait raisonnable) alors les nitrites et l’acidité peut être neutralisés, et la ré-édition de l’expérience de Miller en atmosphère neutre, avec un milieu réactionnel “moins pur”, contenant carbonates et fer, conduit bien à la synthèse d’acides aminés dans une atmosphère non réductrice.

Cette découverte ouvre la voie à une synthèse prébiotique dans des atmosphères planétaires neutres, comme par exemple, dans le passé, l’atmosphère martienne. Toutefois, l’énergie nécessaire est fournie par des décharges électriques mimant des éclairs, et la quantité d’acides aminés obtenus dans ces conditions a dû être faible (il manque un mécanisme permettant de concentrer les molécules produites de façon abiotiques). Des AA endogènes ont dû être complétés par des molécules d’origine extraterrestres, dont la présence est avérée.

Problèmes à résoudre:

* Comment (et où ?) l'ARN est il apparu ? Sa formation spontanée est assez peu probable, mais reste possible, à condition d'expliquer comment ses précurseurs, instables, ont pu se former et surtout se concentrer. Une autre molécule, plus simple que l'ARN, pourrait avoir joué son rôle (
Orgel, LE.: 2004, Prebiotic Chemistry and the Origin of the RNA World, Crit. Rev. Biochem. Mol. Biol. 39, 99–123.). Les différents polymères (PNA - peptides nucleic acid; TNA - thréose nucléic acids) qui ont été proposé (Bohler & al., 1995; Herdewijn, 2001; Joyce, 2002; Miller, 1997; Schwartz, 1997) pour servir d’ancêtre à l’ARN ne sont souvent pas plus facile à synthétiser que ce dernier. L’un des problèmes à résoudre est lié à la rareté des groupements phosphates dans le milieu prébiotique, ce qui rend difficile l’élaboration de nucléotides utilisant, comme l’ARN, des ponts phospho-diester (dans le métabolisme actuel, une activation enzymatique, réalisée à partir d’ATP, est indispensable à cette étape).
glyoxylatevsP

Une équipe (Bean & al., 2006) propose que le glyoxylate, dérivé de l’acide glyoxylique, plus aisé a obtenir en conditions prébiotiques que les groupements phosphates, ait permis la liaison entre les différentes bases de “l’ARN’ ancestral.
Toutefois, le rendement des réactions évoquées reste très faible: 1% seulement des acetals formés sont des “glyoxylate dinucléotides” (cf schéma, montrant à gauche les dinucleotides actuels, reliés par un pont phospho-diester, et à droite la liaison assurée par le glyoxylate. Remarquez comme la forme de ces deux molécules est semblable - d'après Beans, 2006) qui sont analogues, tant au plan structural qu’électrostatique, aux dinucléotides à phosphates.
Les conditions de synthèse (65°C, pH neutre, ions métalliques) font appel à une élimination de l’eau obtenue, au laboratoire, par évaporation à 65°C. Un meilleur rendement est cependant obtenu avec les ions Mg, Fe, Ca ou Li à 85°C (Bean & al., 2006, fig 3). Contrairement à nombre de schémas réactionnels prébiotiques, la réaction de formation des glyoxylate dinucléotides posséde une enthalpie négative, ce qui implique une formation spontanée en milieu favorable (mais lequel, en quelle quantité et à quelle concentration, avec quelle dynamique ?)

Les dinucléotides formés (schéma ci dessous - d'après Beans, 2006) permettent la constitution de “glyoxylate RNA” de forme hélicoïdale.
gadinucleotides
Il présentent une excellente stabilité dans une gamme de pH variée (bien que les liaisons acétal soient labiles en milieu acide, ici elles semblent protégées par leur environnement et les dinucléotides résistent à un milieu très acide tant que la température ne s’élève pas trop (< 60 °C). Toutefois, l’élongation de ces dinucléotides en chaines réclamerait un milieu sec (et n’a pas encore été obtenue).

Le lien glyoxylate aurait été par la suite remplacé par les phosphates (la liaison P-diester étant plus stable dans des conditions de T et pH variés) au cours de l’évolution, et aurait pu être précédé par une liaison basée sur le glycolaldéhyde. Toutefois, ce scénario nécessite des bases azotées dont la formation est encore problématique..

* Aucun ARN autoreplicant n'a encore été découvert ou obtenu par synthèse.

* L'apparition de la vie s'est produite très tôt dans l'histoire du globe: les conditions étaient très violentes, avec des chocs météoritiques fréquents, des océans chauds, une pression atmosphérique énorme, des marées gigantesques... On est loin des petites mares tièdes tranquilles ou se concentre l'ARN !

* Plutot que de compter sur l’improbable synthèse ex nihilo de molécules aussi grandes que l’ARN, R Shapiro (Université de New York) célèbre commentateur acerbe des travaux des chercheurs en origines de la vie, propose que la vie ait démarré par un mélange de molécules organiques très simples se multipliant grâce à des cycles catalytiques et bénéficiant d’une source d’énergie extérieure (Shapiro, 2006)
Shapiro souligne à juste titre la diversité de la chimie organique et l’existence de réactions spontanées, interconnectées, susceptibles de se modifier en réponse à des variations du milieu réactionnel, et donnant ainsi une base chimique pour la vie future bien plus probable que “des synthèses prébiotiques réalisées avec des appareils de laboratoire performants et des réactifs très purifiés aboutissant à des molécules réplicatrices après de longues suites de réactions en ordre spécifique, entrecoupé de séparations et purifications complexes”

*Shapiro préfère l'idée d'une réaction “guidée” par le milieu, liée à une source d'énergie libre, qui aide à convertir un mélange désorganisé en un réseau métabolique organisé, autorégulé. Il fait donc parti de l'école des défenseurs du "métabolisme en premier" qui s'opposent aux tenants de la "réplication première" à l'origine de l'hypothèse du monde d'ARN. Comme le déclare ce chercheur: "If we wish a more plausible origin of life, then we must work with the assumption that life began, somehow, among one of the mixtures of simple organic molecules that are produced by abiotic processes" ( Si nous souhaitons une origine plus probable pour la vie, nous devons alors travailler en supposant que la vie a commencé, d’une façon ou d'une autre, dans un des mélanges de molécules organiques simples qui sont produites par des processus abiotiques)


Références