Une chimie avant la vie
Dernière mise à jour: 27/06/2010





L'oxygène, un poison devenu indispensable.

Nous vivons dans un monde dont l'atmosphère contient 20% de dioxygène. Cependant, ce gaz est corrosif et les êtres vivants s'en protègent par des dispositifs variés. Des enzymes comme la catalase, la peroxydase ou la superoxyde dysmutase permettent au métabolisme de résister à l'action délétère de l'oxygène et de ses dérivés.

Pour les bactéries anaérobies qui ne disposent pas de ces protections, l'oxygène est toujours un poison mortel. Sans oxygène, pas d'ozone pour nous protéger des UV solaires qui arrivaient directement au sol, apportant l'énergie nécessaire aux synthèses chimiques à partir des éléments minéraux disponibles: H
2O, le CO2 et NH3.

De nombreux indices montrent que l'oxygène était absent au début de la vie:

- des dépôts d'uraninite UO
2 datant de cette époque sont constitués. Or, l'uraninite est dégradée en U3O8 soluble si la teneur en O2 est supérieure à 1%
- Des couches rouges d'hématite Fe
2O3 nous indiquent une teneur croissante en oxygène avec le temps. Il est à noter que de tels dépôts d'hématite ont été identifiés sur Mars, renforçant encore l'hypothèse selon laquelle Mars et la Terre ont évolué de concert après leur formation.
- l'analyse d'inclusions d'eau de mer dans des roches datées de 3,5 Gy montre une faible concentration en sulfates, ce qui est interprété comme un signe du faible pouvoir oxydant de l'atmosphère terrestre primitive.
- Des formations de fer rubané se sont déposées lorsque la teneur en O2 a augmenté, transformant le Fe2+ soluble en Fe3O4 insoluble qui a précipité avec de la silice
- Le métabolisme des êtres vivants garde la trace de cette époque: toutes les réactions chimiques de base se déroulent en l'absence d'oxygène. L'étude du métabolisme est importante pour définir les origines de la vie: c'est un fossile moléculaire gardant intact des indices précieux sur l'aube de la vie...

ainsi, les réactions énergétiques qui permettent aux êtres vivants de récupérer de l'énergie à partir des molécules de leur alimentation sont de 3 types différents:

- la
fermentation est le moyen le plus ancien, de nombreuses cellules privées d'oxygène doivent y recourir, comme les cellules musculaires par exemple. C'est la dégradation d'une molécule de glucose en 2 molécules de pyruvate. Celui-ci est ensuite dégradé en acide lactique ou en alcool éthylique, mais constitue toujours un déchet. Chaque molécule de glucose dégradée permet de mettre en réserve deux "unités énergétiques" (UE) constituées par des liaisons phosphates riches en énergie.
- la
respiration utilise l'oxygène pour dégrader le pyruvate sous forme de CO2 et H2O. 36 UE sont récupérées pour 1 molécule de glucose dégradée! C'est ainsi que fonctionnent les cellules de notre organisme. Si elles sont privées d'oxygène, elles "retombent en enfance" et effectuent des fermentations.
- la
photosynthèse est utilisée par les végétaux et permet de construire des molécules telles que le glucose à partir du CO2 et de l'énergie lumineuse.

Dans l'expérience de Miller, des décharges électriques dans des mélanges de H2,CH4,NH3 et H2O donnent des aldéhydes, des acides carboxyliques et des acides aminés. Les mêmes résultats sont obtenus avec un mélange gazeux contenant du CO, du CO
2 et de l' N2 (si le milieu réactionnel ne contient pas d'oxygène).

Une ré-édition moderne de l’expérience de Miller, visant à simuler les conséquences d’éclairs dans une atmosphère localement réductrice (conditions réalisées dans les panaches des éruptions volcaniques) a permis d’identifier beaucoup plus d’acides aminés différents produits que Miller n’avait pu en produire et surtout en détecter (Johnson & al., 2008). Ainsi, les 20 acides aminés utilisés par les êtres vivants actuels ont tous pu être produits au cours des éruptions volcaniques, fréquentes sur la Terre primitive à cause de la température supérieure du manteau, et ont pu conduire à une accumulation locale de composés prébiotiques (reste à étudier la stabilité de ces composés dans un environnement volcanique, où à envisager leur ségrégation dans des microscopiques gouttelettes atmosphériques, aboutissant par exemple à la création d’un éventuel brouillard prébiotique (idée personnelle).
L’origine extraterrestre des premiers acides aminés, ou du moins du déséquilibre entre les différents stéréo-isomères des AA caractérisant les êtres vivants peut aussi être rattaché à une influence extraterrestre: l’analyse d’une météorite (GRA 95229) trouvée en antarctique et conservé à l’écart des contaminations terrestres, a ùontré l’existence d’un déséquilibre énantiomèrique de 14 % au niveau des acides aminés contenus dans cet échantillon (Pizzarelo S. & al, 2008).
L’analyse des molécules organiques solubles présentes dans cette météorite montre également une quantité d’acides aminés plus de trois fois supérieure à celle observée dans la météorite de Murchison.



Comment sont apparues les molécules du vivant ?
Sur la centaine d'atomes que l'on trouve dans l'univers, 24 sont nécessaires aux molécules constituants les êtres vivants. Les molécules caractéristiques des êtres vivants sont de très grandes tailles: on parle de macromolécules. Elles sont formées de l'enchainement de molécules plus petites, les monomères. En simplifiant beaucoup, on peut distinguer 2 grands groupes de macromolécules caractérisant le vivant:

* les protéines qui sont des enchaînements d'acides aminés constituent les structures des cellules. Dans les cellules, on trouve seulement 20 acides aminés différents
* l'ADN et l'ARN contiennent et transmettent les informations qui permettent la reproduction et le fonctionnement des cellules. Ils sont formés de l'enchaînement d'acides nucléiques. Il existe 5 acides nucléiques utilisés par les êtres vivants. L'ARN est capable de se répliquer lui même et fut sans doute le premier acide nucléique des êtres vivants. Pour le fabriquer, il faut disposer d'un sucre, le ribose, de phosphate et de 4 bases différentes.

Longtemps les chercheurs se sont demandés qui des enzymes ou des acides nucléiques étaient apparus en premier: ces deux familles de molécules semblaient indispensable l'une à l'autre, mais en 1986 T. Cech montre que l'ARN peut être son propre enzyme: l'ARN semble être la première macromolécule biologique apparue sur Terre. L'ARN possède de par sa structure une activité sur les protéines. De nos jours, celle-ci s'exerce dans des assemblages complexes, les ribosomes, dans lesquels l'ARN catalyse la formation de liaisons peptidiques entre acides aminés. D'autres ARN peuvent découper des protéines. De plus, les molécules d'ARN possèdent une certaine capacité d'évolution en réponse à leur environnement: l'ARN peut devenir résistant à la ribonucléase qui, normalement, le clive.
L'étape qui sépare la synthèse prébiotique des Acides Aminés (AA) et des Acides Nucléiques (AN) des premières bactéries s'étale sur 500 millions d'années. Après la formation de la planète, plusieurs étapes ont dû se succéder:

1- synthèse des monomères biologiques (sucres, AA et AN)
Pour obtenir les molécules indispensables aux êtres vivants, il faut pouvoir trouver une voie de synthèse minérale des AA, des sucres, des phosphates, des bases organiques (pour les AN), des lipides (pour les membranes) et quelques autres molécules comme les flavines.
Dans l'expérience de Miller, on obtient des acides aminés tels que la Leucine, l'isoleucine, la Thréonine, l'Asparagine, la lysine, la phénylalanine et la tyrosine, mais aussi des acides aminés et des isomères inconnus dans les êtres vivants: la sarcosine et la b alanine par exemple. De plus, les 20 AA utilisés par les êtres vivant ont tous la même symétrie spatiale, dite L (sauf certaines parois bactériennes et quelques molécules de défense). Or, les synthèses prébiotiques conduisent autant aux formes L qu'aux formes D. Pourquoi donc seuls les AA de symétrie L sont ils utilisés par les êtres vivants ? Il est possible que le hasard soit à l'origine de cette sélection, bien que de nombreuses propositions ont été avancées, faisant appel, entre autres aux forces de Coriolis résultant de la rotation terrestre (qui à l'époque était un peu plus rapide que de nos jours, la lune ayant depuis freiné la rotation terrestre).
Plusieurs études des acides aminés détectés dans diverses météorites montrent un enrichissement en isomères L de ces dernières (ce déséquilibre est situé entre 10 et 18%). Il est donc possible que la prédominance des acides aminés l dans la biochimie terrestre ne soit que le reliquat de "briques" prébiotiques extraterrestres disponibles, à l'origine, en quantité légèrement supérieure (
D.P. Glavin , J. P. Dworkin, "Enrichment of the amino acid l-isovaline by aqueous alteration on CI and CM meteorite parent bodies" [abstract], Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 16 Mars 2009). Ce déséquilibre, à l'origine, serait causé par le rayonnement UV polarisé de certaines étoiles, et serait amplifié, dans un second temps, par l'action de l'eau. Toutefois, et en utilisant le raisonnement inverse, certains chercheurs, minoritaires, considèrent cet enrichissement énantiomérique comme une preuve de l'existence d'une ancienne forme de vie sur les corps à l'origine des météorites analysées...

On peut également se demander pourquoi seulement 20 AA entrent dans le code génétique alors que davantage d'AA différents étaient disponibles ? Il est probable qu'à l'origine, le code génétique comportait moins de 20 AA, beaucoup d'entre eux dérivant des autres. Au fil de l'évolution, de nouveaux acides aminés ont été intégrés dans les protéines, mais les organismes primitifs ne comportaient peut être qu'une quinzaine d'AA différents, voire moins. Il y eu probablement, au début, des sélections aléatoires basées sur les richesses en AA des différents milieux, et pas mal d'essais disparus sans laisser de traces...
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Les monomères ont commencé à se former en milieu gazeux, dans l'atmosphère. Celle-ci était d'ailleurs enrichie en molécules organiques par des molécules d'origine spatiale: les gaz interstellaires et la poussière contiennent de l'eau, de l'NH3, du formaldéhyde, du méthane...
Le formaldéhyde a aussi pu se former dans l'atmosphère primitive par photochimie (Pinto & al., 1980).
Une centaine de molécules diverses sont aujourd'hui connues dans l'espace interstellaire, dont certaines comportant plusieurs dizaines à plusieurs centaines d'atomes de carbone.
Les comètes, très nombreuses après la formation du système solaire, ont également été une source de HCN, CO2, formaldéhyde, méthanol, CO, NH3 et H2S mais également d'eau pour l'atmosphère primitive.

Les premières molécules intervenantes sont le HCN, le cyanogène C2N2 ainsi que des aldéhydes.

Les AA se sont formés à partir de ces précurseurs, par la synthèse dite de Strecker. Des hydroxyacides peuvent se former de la même façon, comme l'acide glycolique, le glycocolle, l'acide lactique ou l'alanine.
Les sources d'énergie disponibles ne sont pas que les UV, au demeurant pas toujours efficaces pour tous les gaz (ils sont surtout absorbés par H2S et NH3). Les éclairs, la radioactivité ainsi que les ondes de choc des impacts météoritiques et cométaires ont pu apporter l'énergie nécessaire aux synthèses prébiotiques. On peut également noter que la présence d'ions Zn favorise la polymérisation des AA en peptides. Des minéraux apportant cet ion ont aidé à l'élaboration des premiers peptides...

Les éclairs offraient l'avantage de fournir une grande quantité d'énergie à des endroits bien localisés.
Ci dessus: voie de synthèse des acides aminés se produisant dans deux milieux: dans l'atmosphère jusqu'au stade aminonitrile, puis dans les océans ou en milieu liquide ensuite.

- Les sucres peuvent être obtenus par condensations formolique. Il faut toutefois remarquer que la synthèse de ribose "seul" est problématique. Le rendement des réactions envisagées est mauvais, et les conditions réactionelles spéciales. De plus, l'addition du ribose sur les bases est encore un mystère: son mécanisme est inconnu pour les purines, et n'a été obtenu avec des pyrimidines qu'avec des molécules de cette famille qui ne sont pas les bases des acides nucléiques actuels.

- certaines bases peuvent dériver de l'acide cyanhydrique (bases puriques: adénine et guanine) grâce à un intermédiaire, le
diaminomaléodinitrile. La synthèse des autres bases (pyrimidiques: l'uracile, la thymine et la cytosine) est bien plus problématique.

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condensation formolique aboutissant au ribose


synthèse des Acides nucléiques :


La condensation de l'adénine et du ribose donne de l'adénosine, un nucléotide qui en se liant à 3 groupes phosphate donne de l'Adénosine Tri Phosphate, toujours utilisé pour transférer l'énergie dans les êtres vivants.
Pourquoi utiliser l'ATP et non pas la Guanine Tri Phosphate (GTP), la Cytosine Tri Phosphate (CTP) ou l' Uracyle Tri Phosphate (UTP)? La synthèse de l'adénine se révélant plus facile, peut-être cette molécule fut elle tout simplement celle qui était le plus aisément disponible.

Ci-dessous : voie de synthèse prébiotique de l'adénine. Le rendement de cette réaction est cependant très faible.

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R . Shapiro, de l'université de New York, reconnaît que le rôle essentiel de l’Adenine dans les processus de réplication de tous les êtres vivants ainsi que dans le métabolisme conforte l’idée que cette molécule a été l’une des premières présentes dans les systèmes génétiques ancestraux.
Il remarque justement que les propriétés chimiques de l’Adénine cadrent mal avec une supposée large disponibilité dans les conditions prébiotiques et avec sa participation aux premiers mécanismes de réplications (Shapiro, 1993). En effet:
- La synthèse d”adénine demande des concentrations d’HCN voisines de 0,01 M, qui semblent peu probables dans l’environnement de la Terre primitive.
- Les molécules obtenues comprennent non seulement de l’adénine mais également 7 autres dérivés de cette molécule.
- l’Adenine
s’hydrolyse facilement (d'où une indispensable synthèse en milieu "sec"- sa demi-vie avant désamination est, a 37 °C et pH 7, de 80 ans), et réagit avec une grande varièté de molécules électrophiles. Son accumulation pendant des durées importantes (donc sa participation à des cycles réplicatifs) semble donc improbable.
- le pont Adénine Uracyle est de faible intensité et non spécifique. L’adénine se lie de la même façon à de nombreuses molécules (justement, c'est sans doute l'un des caractères les plus intéressants, au plan prébiotique, de cette molécule) comme des nucléotides, seuls ou polymérisés, et l’ARN.
Cet auteur en déduit que d’autres réplicateurs que l’adénine ont dû précéder l’ARN à l'époque de l’origine de la vie. On ne peut que partager son avis, et remarquer que la synthèse dans des conditions aqueuses de la "soupe" prébiotique est en effet extrêmement improbable. D'autres milieux (minéraux, compartiments...) et d'autres conditions physiques (de T, pression, pH...) sont donc à explorer.

La synthèse de la Guanine pose davantage de problèmes, car cette dernière n'apparaît qu'à l'état de traces dans la plupart des mécanismes réactionnels proposés, comme par exemple celui de la synthèse d'
adénine, de cytosine et d'uracileà partir de formamide (H2NCOH) à 160°C en présence de catalyseurs minéraux relativements communs. Toutefois, le rayonnement UV disponible à l'époque à la surface terrestre poeut avoir joué un rôle insoupçonné: N. Hud et T. Orlando ont obtenu la synthèse des 4 bases de l'ARN simplement en chauffant le formamide à 130 °C en présence d’UV, voire même à 100°C, sans que les catalyseurs minéraux ne soint nécéssaires. Ces chercheurs (H. L. Barks, R.Buckley, G.A. Grieves, E.Di Mauro, N. V. Hud, T. M. Orlando. Guanine, Adenine, and Hypoxanthine Production in UV-Irradiated Formamide Solutions: Relaxation of the Requirements for Prebiotic Purine Nucleobase Formation. ChemBioChem, 2010; 11, 9) envisagent un scénario de synthèse faisant intervenir des "petites mares (très) chaudes" contenant un peu de formamide et qui, en s'évaporant, pourrait avoir formé des solutions concentrées de formamide exposées aux UV solaire, le tout en présence des minéraux présents au fond de la mare, et recueillant les molécules formées...

Synthèse des pyrimidines (cytosine et uracile)

La cytosine peut être obtenue dans les expériences type Miller, à partir de cyano-acetylene et de cyanate obtenus par décharge électrique dans une atmoisphère contenant un mélange de méthane et d'azote. Toutefois, Miller lui même fait remarquer que " this reaction requires relatively high concentrations of cyanate (>0.1 M), which are unlikely to occur in aqueous media as cyanate is hydrolysed rapidly to CO2 and NH3. " (cette réaction necessite des concentrations relativement élevées en cyanate (> 0,1 mol/L), qui ne peuvent être obtenues en milieu aqueux où le cyanate est rapidement hydrolysé en CO2 et NH3) -
Michael P. Robertson, Stanley L. Miller. An efficient prebiotic synthesis of cytosine and uracil. Nature 375, 772-774 (29 Juin 1995) . Ces mêmes auteurs proposent alors une voie de synthèse basée sur le cyanoacetaldehyde provenant de l'hydrolyse du cyanoacetylene, réagissant avec de l'urée (ci dessous).

synthese pyrimidine
Si cette dernière molécule est présente en abondance (en bord de lacs en cours d'évaporation, par exemple), alors le cyanoacetaldehyde conduit à la formation de cytosine avec un rendement compris entre 30 et 50%. L'uracile peut se former par hydrolyse de cette molécule.

La "voie des purines"
L'examen du métabolisme commun à toutes les cellules (eucaryotes, procaryotes...) donne quelques indices montrant que les bases puriques (A et G) ont probablement été les premiers nucléotides utilisés par le vivant (hypothèse personnelle). En effet, la synthèse des purines présente nombre de caractères indiquant qu'il s'agit d'un mécanisme plus fondamental, plus basique que celui des pyrimidines. Par exemple, la fabrication de pyrimidines nécessite l'existence préalable de molécules basées sur l'adénine, alors que le contraire n'est pas vrai.

Le tableau ci-dessous met en lumière ces différences:

Molécules
Purines
pyrimidines
précurseurs de la synthèse
à partirdemolécules simples: CO2, glycocolle, glutamine, Acideaspartique,acide tetrahydrofolique.
La néosynthèse est plus importante que larécupération d'origine alimentaire.
glutamine
nécessite l'intervention du NAD (donc la présenced'adénine!)
mode desynthèse
Le ribose constituela base surlaquelle le cycle est progressivement édifié.
le cycle estsynthétisé puis fixé au ribose.
cofacteurs de lasynthèse
minéraux:2 Mg 2+, K+
Organique:NAD
lieu desynthèse
Cytoplasme puisinterconvertions en mitochondries Cytoplasme
"matériel"moléculaire pour la synthèse
IMP, 9 ATP (donc del'adénine!).
10 enzymes
2 coenzymes
(toutes cellules sauf lymphocytes)
la conversionU--->C nécéssite de l'ATP, donc... de l'adénine!


Ces données plaident en faveur d'une utilisation préférentielle des purines au début du code génétique:
le premier code pourrait avoir reposé sur un acide nucléique formé d'un simple brin de purines...

Des bases aux nucléotides

Les bases seules, c'est utile, mais dans les acides nucléiques elles sont incorporées dans des nucléotides, qui sont les véritables "briques" de l'ARN et l'ADN actuels, et comprennent donc une base+un ribose+un phosphate. On des problèmes de la chimie prébiotique est justement d'obtenir ce ribose, mais encore de le lier aux bases, ce qui reste une énigme.

Une des façons de court-circuiter ce problème est d'envisager
une synthèse directe à partie d'un précurseur de la base et du ribose (Powner, Gerland, Sutherland. Synthesis of activated pyrimidine ribonucleotides in prebiotically plausible conditions. Nature 459, 239-242 - 14 Mai 2009). Pour cela, un ensemble de molécules prébiotiques simples, à la présence probable sur la Terre primitive (cyanamide, cyanoacetylene, glycolaldehyde et glyceraldehyde) ainsi que des phosphates minéraux réagissent, en présence d'azote et au cours de cycles de réchauffement/refroidissement (simulant une évaporation suivie de pluies, pendant une semaine pour l'expérience réalisée par l'équipe pré-citée) pour former du 2-amino-oxazole.

Ce précurseur réagit avec le glycéraldéhyde pour conduire à un ensemble ribose et cytosine. Le phosphate, en présence d'UV (provenants du rayonnement solaire, à l'époque) aboutit ensuite à une synthèse de ribocytidine phosphate, certains nucléotides formant aussi de l'acide uridylique.
Outre son rôle de réactif, le phosphate, indispensable dès le début de la réaction, régule ces dernières en jouant le rôle de tampon ainsi que de catalyseur. On obtient "finalement", en quatres étapes, deux ribonucléotides phosphates: la cytidine et l'uracyle.
Les auteurs font remarquer qu'il est important de partir d'un mélange réactionnel comportant des réactifs nombreux, et de ne pas être tenté de "rajouter au bon moment" le réactif qui "débloque la situation", ce genre de procédé étant très peu probable dans les réelles conditions prébiotiques...

Autre problème: on trouve aujourd'hui dans l'ARN une liaison bêta 1' alors que des alpha et bêta 1', 2' et 3' étaient aussi possibles et tout aussi probables. Pourquoi cette liaison à t'elle été sélectionnée par l'évolution ? Il semble que des ions minéraux puissent expliquer cette sélectivité: de nos jours encore, la synthèse d'ADN et d'ARN est sous la dépendance des ions Mg et surtout Zn qui orientent le sens des synthèses. Voici encore un indice de l'implication des minéraux dans l'origine de la vie.

Nous savons que des molécules de synthèse peuvent catalyser leur reproduction, évoluer et se disputer les ressources de leur milieu. C'est le cas de l'ARNI (adénine ribose naphtalène imide) qui peut se répliquer ou s'associer avec elle-même, ou de la diaminotriazine xanthène thymine (DIXT). Ces molécules
comprenant des acides nucléiques peuvent d'ailleurs se lier et engendrer par recombinaison d'autres molécules douées d'autoreplication ou non. (J.Rebek - Pour La Science 203 - sept 1994).
Pour qu'une molécule soit capable de s'autorépliquer,
sa forme est primordiale ainsi que la répartition des forces exercées par les différents groupements moléculaires qui la compose. Ces forces peuvent orienter et attirer les molécules de base, et la forme de la molécule permet le rapprochement des diverses molécules afin de faciliter leur réaction: c'est le mode de fonctionnement des enzymes de nos cellules.

2 - La polymérisation des monomères
Pour enchaîner les différents monomères, il faut réaliser des réactions de polymérisation. Pour cela, il faut lier deux molécules en leur enlevant une molécule d'eau alors que dans un milieu aqueux, c'est la dépolymérisation (hydrolyse) qui est favorisée (empêchant l'allongement des polymères protéiques ou nucléiques).
Pour éviter cette destruction par l'eau, on peut postuler que les premiers polypeptides ont du être sélectionné de façon à abriter leurs liaisons peptidiques dans des domaines hydrophobes, et ceci soit en se repliant, soit en adoptant une conformation protectrice. Expérimentalement, des peptides d'une vingtaine d'AA, (comprenant ceux les plus faciles à obtenir en situation prébiotiques: Lysine, isoleucine et alanine) montrent une capacité d'association en tétramère et de repliement compact protégeant la liaison peptidique de l'hydrolyse tout en permettant la solubilité du peptide (Lopez de la Osa & al., 2007). On peut aussi supposer que la formation des premiers polypeptides s'est faite à l'abri de l'eau...

D'une manière ou d'une autre, il a donc fallu que le milieu favorise la polymérisation. Pour cela, il était nécessaire de concentrer les réactifs ou d'enlever l'eau, et de coupler la réaction à une autre qui libérerait de l'énergie. En effet, l'allongement d'un polymère nécessite de l'énergie, qui doit être fournie par couplage avec d'autres réactions chimiques par exemple, alors que l'hydrolyse libère de l'énergie, ce qui lui permet de se produire spontanément. Il a donc fallu que la polymérisation soit couplée à une autre réaction lui fournissant l'énergie dont elle a besoin.

L'indispensable mécanisme de couplage énergétique
Certains composés comme le carbodiimide (-N=C=N-) fournissent assez d'énergie pour une polymérisation. D'autres agents de couplage sont le cyanogène, le cyanamide, les cyanoacétylène et le diaminomaléodinitrile (leur énergie est stockée dans une triple liaison CC ou CN). Pourquoi les agents de couplage ne réagissaient-ils pas plutôt avec l'eau qu'avec les monomères présents? La liaison entre les monomères et des ions phosphates ont pu favoriser ce couplage au détriment de l'eau. Par cette voie, on a obtenu des synthèses de polyphosphates (AN ). Les polyphosphates sont utilisés encore de nos jours par certaines bactéries qui stockent leur énergie dans des corpuscules à polyphosphates dans leur cytoplasme.
Enlever l'eau favorise également les mécanismes de polymérisation:

- L'adsorption sur des minéraux argileux du type montmorillonite permet d'offrir une grande surface réactionnelle aux molécules qui sont d'ailleurs orientées pars les forces électrostatiques s'exerçant au niveau moléculaire entre les différents feuillets de ces minéraux, le tout en limitant la quantité d'eau présente.
- Le mélange réactionnel peut être concentré par évaporation ou congélation.
- Des réactions de chimie sèche sont possibles: S.Fox a montré que des AA secs polymérisent à 130°C . On obtient alors des "thermo-protéinoïdes", des molécules qui seraient les ancêtres des protéines. Avec des polyphosphates, la polymérisation à sec se produit à 60°C (on peut ainsi aboutir à des polymères de 200 AA environ)

3 - Ségrégation dans des milieux protégés (membranes) des polymères obtenus
Les polymères tels que AN et protéines en solution ont tendance à former des gouttelettes nommées coacervats. Ces gouttelettes sont plus ou moins stables et peuvent concentrer des molécules en fonction de leur solubilité.

On peut également envisager la formation de membranes protéiques (comme pour les capsides de virus).

4 - Développement d'un mécanisme de reproduction

Ce mécanisme devrait se baser sur une polymérisation autocatalytique. Il est probable que les premières molécules autoréplicantes étaient très simples, comportant peu de monomères. Leur réplication en fonction des apports du milieu faisant augmenter le volume des membranes les contenant, celles-ci finissent par éclater en en formant de plus petites.


L'environnement dans lequel la vie est apparue était très différent du nôtre, surtout en ce qui concerne la température et la composition de l'atmosphère. Les débats sont encore vifs en ce qui concerne la température à l'époque prébiotique: alors qu'une origine chaude semblait se dégager, l'étude des molécules d'ARN des organismes actuels montre que les séquences sélectionnées ne sont pas celles qui résistent le plus à la chaleur. Par contre, il ne fait aucun doute que l'atmosphère primitive était dépourvue d'oxygène: ce gaz est une signature de la vie végétale.

Dés son apparition, la vie détruisit les conditions de son éclosion. À partir du CO2 atmosphérique, les premiers organismes photosynthétiques ont formé du glucose en dissociant H2O avec l'énergie lumineuse, en libérant O2 comme produit de la réaction. Le milieu n'est pas un ensemble éternel dont la composition est fixée et doit à toute force être préservée: pour les premières cellules, l'oxygène était un polluant mortel! Il est logique que le milieu évolue, et que nous contrôlions cette évolution...



Références
Lire aussi en français:
-
L'origine de la vie sur la Terre - L. Orgel - Pour La Science 206, décembre 1994 80-88
- L'origine de la vie - R. Shapiro (intéressant par son approche critique et constructive) - coll. Champs; Flammarion
- Les origines cosmiques de la vie - Delsemme (des intuitions pleinement confirmées) - coll. Champs, Flammarion
-
un excellent site, par le SNV de Jussieu, sur les approches moléculaires des origines de la vie