Les hypercycles, réseaux non linéaires de réplicateurs

4/04/2007



Une modélisation mathématique
Les systèmes biologiques, comme le métabolisme par exemple, constituent des réseaux qui sont modélisables et peuvent être explorés par plusieurs branches des mathématiques. Ainsi, la théorie des systèmes complexes, une branche de la biologie systémique dérivée de la théorie des systèmes dynamiques, s’est attachée à étudier le comportement et l’évolution de la concentration d’un mélange d’espèces chimiques représentant les molécules disponibles dans les milieux prébiotiques.

Cette étude est d’une grande complexité dès que l’on dépasse la situation élémentaire (et artificielle) ou deux réactifs purifiés donnent quelques produits, la réaction ne se produisant que dans un sens.
L’évolution moléculaire et l’auto-organisation d’un ensemble métabolique sont approchées au moyen de l’analyse non linéaire (on se place dans les situations où l’on a affaire non pas à quelques variables du systéme, mais à un continuum de variables et un haut degré de non-linéarité (
S H. Strogatz - Nonlinear Dynamics and Chaos, 2000)
Ces systèmes, correspondant au mélange de nombreuses espèces chimiques, adoptent un comportement complexe, parfois chaotique, mais dont on peut caractériser l’évolution qualitativement et quantitativement, en fonction et d’après les concentrations fluctuantes des différentes molécules présentes. Il apparait ainsi des directions privilégiées, des comportements émergents: les systèmes différents convergent vers un état similaire, lequel constitue un attracteur du système.
L'étude des hypercycles peut se faire via deux modalités mathématiques, qui ne donnent pas toujours des résultats concordants: les équations différentielles ou les
automates cellulaires.



Des réseaux non linéaires de réplicateurs : les hypercycles

Les hypercycles sont des réseaux faisant intervenir des molécules autoreplicatrices possédant une activité enzymatique. Initialement proposés par M Eigen en 1977, ces ensembles moléculaires possèdent la particularité de fonctionner en circuits fermés (d’où le nom de cycles): le dernier de la liste catalyse la formation du premier...

Ils permettent de comprendre comment un mélange de réactifs peut évoluer vers un état précis, ainsi que les chemins de cette évolution et la “forme” qu’elle prend.
Un des caractères majeurs des hypercycles est de permettre de surmonter la “transition catastrophique” d’Eigen, propriété que présentent les premiers systèmes de réplication dont le taux d’erreur est important et qui se distribuent selon des quasi-espèces.
Eigen a supposé (en 1971) que les premiers gènes étaient physiquement séparés, le génome primitif étant constitué d’un ensemble de gènes en interaction au sein d’un ou de plusieurs organismes (dans le cas ou l’on se retrouve avec un échange horizontal massif de gène, en dessous de “seuil Darwinien” de Forterre).

Ces premiers gènes se concurrençaient entre eux (par exemple, pour l’accès aux différents monomères), ce qui implique l’existence d’un mécanisme permettant leur coexistence: un ensemble de réactions catalytiques croisées et concurrentes peuvent coexister et, se maintenant chacune isolément en deçà d’un taux d’erreur ne permettant pas d’évolution, ont pu permettre l’élaboration progressive d’un message génétique de taille croissante.
Ces réseaux permettraient donc de résoudre le problème de la fidélité des premières molécules autoréplicantes (sauf si l’on considère que ces dernières n’avaient pas comme problèmes une faible reproductibilité, mais une trop forte, au contraire, fidélité à leur modèle...)

Les hypercycles sont d’intéressantes curiosités mathématiques, mais il reste a savoir si ils existent réellement: un seul système biologique réel a été ainsi caractérisé (Eigen & al., 1991), mais d’autres pourraient exister

Le concept d’hypercycle a été utilisé et modélisé pour de nombreux types moléculaires dont on cherche l’origine: ARN, ADN-Proteines...
Tous ces hypercycles présentent d’étonnantes propriétés mathématiques correspondant à des comportements caractéristiques, allant d’un fonctionnement cyclique à des oscillations chaotiques.

Les hypercycles ont une cinétique hyperbolique (concentrations ”infinies” obtenues dans un temps fini), ce qui correspond en fait à la grande productivité possible de ces réseaux de réplicateurs, qui toutefois peuvent être affectés par des éléments parasites: un réplicateur lié à un seul membre de l’hypercycle, consommant ce dernier, mais ne participant pas aux autres étapes du cycle (Maynard Schmitt, nature 353, mai 1991) peut conduire à la rupture du cycle. Toutefois, la compartimentation des réactions permet de renforcer la stabilité et l’efficacité des hypercycles (Szathmary & Demeter, 1987)

Des résultats probants ont été obtenus par l’étude des hypercycles, par exemple des réactions de réaction-diffusion dans un hypercyle à 5 membres (Cronhjort et Blomberg, 1994) utilisant des équations mises au point par Boerlijst et Hogeweg (1991) aboutissent à la formation de structures en spirale. Ces structures se retrouvent communément et, à leur frontière, peuvent servir à développer d’autres hypercycles qui fonctionnent de façon plus lente, mais se révèlent bien plus stables, bien que se répliquant moins vite (Suzuki & Ikegami, 2006 Artificial Life 12 461–485). Ainsi, lorsque les règles d'interaction entre les espèces chimiques permettent la concurrence qui mène à la formation d’un réseau hypercycle, le réseau des “boucles” (réactions chimiques cycliques) forme des spirales, provoquant l’émergence de nouveau réplicateurs au niveau des frontières entre réseaux différents.

L’interaction de plusieurs hypercycles peut donc conduire à la formation de nouveaux réseaux, ce qui signe peut être l’un des mécanismes de
la mise en place d’une dynamique évolutive des suites de réactions prébiotiques caractérisant l’ancêtre des métabolismes.

Ainsi, Des polypeptides ont montré une action catalytique à a fois pour la polymérisatiion d’ AA et la synthèse de nucléotides.
Des recherches théoriques (Matsuno, 1982) montrent qu’une suspension (modélisant une microsphère de Fox-Nakashima) de peptides abiotiques, d’AA libres, d’ATP et de de nucléotides peut se comporter comme un ensemble évolutif, prélude à un hypercycle liant les AA aux nucléotides. En utilisant des hypercycles, CC King (1982) a développé un modèle des liens unissant ADN, ARN et protéines. Les paires AU et GC y jouent des rôles complémentaires et les ARNt se forment à partie d’une molécule comportant deux boucles obtenues à partir de séquences répétitives, sans que le recours à un ARNm soit nécessaire.

Des problèmes de stabilité
Les simulations (Stadler & Happel, 1993) montrent qu’un comportement coopératif dans les réseaux autocatalytique n’apparait plus dès que l’on dépasse 5 espèces moléculaires en interaction. Dans ces réseaux aléatoires, la probabilité de collaboration décroit très rapidement (entre l’exponentielle et n2, n étant le nombre de molécules interagissantes). Dès lors, l’évolution de ces réseaux par addition d’espèces supplémentaire est extrêmement improbable. Les hypercycles sont donc loin d’être suffisants pour maintenir une information “génétique” au-delà d’un nombre très limité de molécules interagissantes. On observe cependant de grandes différences selon le mode d'étude choisi pour les hypercycles: alors que les simulations utilisant des automates cellulaires permettent d’obtenir des cycles robustes (résistant aux parasites), les modèles obtenus à partir d’équations différentielles 2D (formes en spirale) ou 3D (anneaux mobiles) sont très instables. Seuls certains modèles sont assez robustes (modèles permettant d’obtenir des clusters - Cronhjort, 1995).



Références

Cronhjort MB. Hypercycles versus parasites in the origin of life: model dependence in spatial hypercycle systems.Orig Life Evol Biosph. 1995 Jun;25(1-3):227-33.
Eigen M, Schuster P. The hypercycle. A principle of natural self-organization. Part A: Emergence of the hypercycle. Naturwissenschaften. 1977 Nov 64 (11): 541-65
King CC. A model for the development of genetic translation. Orig Life. 1982 Dec ;12 (4):405-25.
Matsuno K. Natural self-organization of polynucleotides and polypeptides in protobiogenesis: appearance of a protohypercycle. Biosystems. 1982; 15 (1):1-11

Stadler PF, Happel R. The probability of permanence. Math Biosci. 1993 Jan; 113(1):25-50. 

Szathmary E, Demeter L. Group selection of early replicators and the origin of life. J Theor Biol. 1987 Oct 21;128(4):463-86

Quelques liens pour explorer le monde passionnant des automates cellulaires:
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leurs propriétés
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un exemple interactif