De l'importance d'être constante

Octobre 2009

Pour résoudre des problèmes nouveaux, il devient peut-être nécessaire de remettre en cause certains fondamentaux de la physique. Faisons le point sur ces tentatives révolutionnaires ainsi que sur les difficultés rencontrées par ces nouvelles conceptions qui proposent des variations, dans le temps ou dans l'espace, des grandeurs jusqu'ici considérées comme constantes. Nous verrons que les promoteurs de ces conceptions ont eu a affronter un rude tir de barrage, avant de se voir rejoints par leurs anciens ennemis alléchés par les perspectives qu'ils ont défrichés parfois au péril de leur carrière. Afin de s'aventurer sereinement dans ce champ de mines conceptuelles, espionnons donc la conversation de deux physiciens, Jack et Algernon, un samedi, après une indispensable réunion sur les célèbres supercordes...

Jack: Tu ne dis que des absurdités

Algernon: C'est ce que tout le monde fait, dans le domaine des supercordes, et peu de physiciens y trouvent à redire!

- mais les constantes, par définition même, ne peuvent pas changer! C'est encore une lubie de jeunes astrophysiciens sans grands talents qui veulent se faire remarquer.

- Malheureusement pour toi, le premier à avoir eu cette idée n'a rien rien d'un perdreau de l'année en quête de crédits: c'est Dirac lui-même, le découvreur de l'antimatière, qui a présenté cette hypothèse dès 1937 (1). Dirac avait calculé, d'après les éléments dont il disposait à son époque, des rapports entre l'âge de l'univers et les différentes forces s'exerçant dans les atomes d'hydrogène, entre un proton et un électron. Il avait ainsi obtenu des nombres sans dimension (c’est à dire sans unités, dont l’expression et la valeur ne dépendent pas des unités de mesure choisies) et constaté une coïncidence troublante: alors que l'âge de l'univers exprimé en nombre de tours effectués par un électron autour d'un proton était voisin de 1040, la valeur de la constante de gravitation G déduite de ces mêmes atomes était très proche de 10-40, soit l’inverse. Ainsi, la force de la gravitation serait proportionnelle à la force électromagnétique divisée par l’âge de l’univers.

- Simple coïncidence, du même genre que celle des dimensions des pyramides d’Égypte avec la durée de l’année ou le nombre pi : je trouve les mêmes correspondances en mesurant ma baignoire !

- Dirac ne pensait pas qu’il s’agissait de coïncidences, pour lui, c’était une indication que G variait selon l’inverse de l’âge de l’univers, et cela permettait de relier la gravitation et la physique atomique quantique. Il avait même commencé à faire des remarques intéressantes au sujet de l’expansion de l’univers.

- Mais une telle variation de G devrait se détecter en remontant dans le passé de quelques centaines de millions d’années seulement  !

- C’est vrai, en effet. Teller, le père de la bombe thermonucléaire, et Gamow ont démontré qu’une telle variation n’était pas possible : le soleil aurait non seulement été bien trop lumineux dans le passé pour que la vie se développe sur Terre, mais il serait éteint depuis longtemps...

- Donc un domaine sans intérêt, j’avais raison !

- Pas si vite. D’autres valeurs auraient pu varier, comme par exemple la charge de l’électron, pour expliquer les coïncidences de Dirac, sans que le soleil ne s’en mêle. Quoi qu’il en soit, Dirac a ouvert la boite de Pandore, il va devenir difficile de la refermer si l’on réfléchit un peu au sens des constantes de la physique.

- Des considérations de philosophe, pas de physicien. La physique, c’est faire des calculs, les vérifier, et c’est tout.

- C’est bien ce qu’est devenu la physique après Borh, mais il n’empêche que l’on peut aussi considérer cette science comme une interrogation rigoureuse sur le monde, et réfléchir au sens de nos pratiques, quelle que soit par ailleurs leur efficacité. Ainsi en est-il des constantes : d’où viennent ces nombres qui ne sont prédits par aucune théorie, qu’il faut mesurer laborieusement et que l’on retrouve un peu partout  ? Pourquoi ont-elles des valeurs si différentes, et, par exemple, pourquoi la gravitation est elle si lamentablement faible par rapport aux autres forces ? Est-ce que les constantes sont réellement fondamentales ou bien leur valeur découle t’elle de théories d’un ordre supérieur, encore inconnues ? Ce sont là de vraies interrogations pour la physique...

- Je ne suis pas convaincu, la preuve, c’est que depuis Dirac c’est le calme plat.

- Pas du tout, il existe plusieurs physiciens qui ont élaboré des théories où les valeurs de certaines constantes ne sont pas fixées. Bien évidemment, ils ont eu toutes les peines du monde à publier leurs travaux, du moins dans un premier temps (2). Il faut dire qu’ils ont fait intervenir des variations de constantes pour proposer une explication alternative au décalage vers le rouge observé dans les raies spectrales de galaxies lointaines, et interprété comme étant la marque d’un univers en expansion. Ainsi, Hoyle et Narkilar (3) ont-ils essayé (en vain) d’obtenir un univers statique où des variations de constantes donnaient l’illusion d’une expansion de l’espace. C’est également la démarche de l’astronome Van Flandern pour qui l’expansion serait une illusion causée par l’existence d’une dimension supplémentaire dans notre univers (4). Cet astronome a cru déceler une variation de G en analysant finement l’orbite lunaire, mais ses résultats n’ont pas été confirmés. Et puisque tu me parlais de philosophie, je me dois aussi de signaler que l’astrophysicien Milne, dans les années 40, a justement mis en doute lui aussi la stabilité des constantes lorsqu’il a effectué des recherches visant à compléter la relativité générale (5), et qu’il a participé à une vive controverse, dans ces années-là, sur la philosophie sous-jacente aux différents modèles utilisés en cosmologie (6). Ses idées n’ont toutefois, là encore, pas été confirmées par la suite.

- Et tu n’as rien d’autre à me proposer qu’un quarteron de physiciens en retraite, voire ad patres, pour mener de front cette révolution conceptuelle qui me semble fort mal partie puisque les idées de ces vénérables n’ont jamais été confirmées ?

- Si ce n’était pas le cas, le problème ne se poserait plus et tu pourrais retourner faire vibrer tes branes jusqu’à ce que les supercordes nous pendent! Mais non seulement des théoriciens se sont attaqués de nouveau à ce problème, mais ils ont réussi, pour certains, à initier de véritables campagnes d’observations dont les résultats sont intéressants. Tellement intéressants qu’ils sont à présent considérés par ceux-là mêmes qui se moquaient du petit club des « variateurs de constantes » lorsque cette conception n’était pas à la mode.

- Tiens donc, tes nouveaux héros n’auraient donc pas été accueillis avec la déférence qui sied à leur rang  ? Pourquoi ont-ils donc rencontré tant d’opposition, si ce n’est parce qu’ils contestent l’évidence, à savoir l’expansion de l’univers  ?

- Tu n’y es pas du tout. Les physiciens qui réfléchissent actuellement aux variations des constantes ne remettent pas en cause le big bang, bien au contraire : ils cherchent à l’expliquer plus clairement.

- Comment ça ? En quoi leurs idées farfelues peuvent-elles améliorer notre compréhension du big bang   ?

- Quelles sont les preuves observationelles du big bang  ?

- He bien le décalage vers le rouge des raies des galaxies lointaines montrant l’expansion de l’univers, la proportion entre l’hydrogène et l’Helium, ainsi que celle d’autres éléments plus lourds, le rayonnement à 3 K qui « signe » le big bang...

- Et ce rayonnement, quelles sont ses caractéristiques  ?

- Il correspond à un corps noir à une température de 3K (- 270 °C), il provient de toutes les directions, et les mesures obtenues par le satellite Cobe (7) et celles en cours d’obtention par WMAP montrent qu’il est très homogène.

- Il l’est même trop, non  ?

- Je vois ce que tu veux dire, mais ce problème est résolu, il me semble ? Comme tout l’univers que nous voyons est homogène, nous devons en conclure que très tôt au cours du big bang, toutes les régions qui le composent ont été en communication, afin de s’homogéiniser. Mais cela n’est pas possible, car comme la vitesse de la lumière est une vitesse limite, l’univers a grandi si vite que ses différentes régions n’ont pas pu entrer en communication, il ne peut donc pas s’y produire une homogénéisation des différents rayonnements, et le rayonnement primordial à 3K, tout comme notre propre univers aujourd’hui, ne devraient donc pas être aussi homogène (8) . Mais le physicien Alan Guth a proposé le modèle de l’inflation (9), qui veut que, très rapidement, l’univers se soit monstrueusement dilaté, et que nous ne puissions donc observer qu’une toute petite partie, forcément homogène à l’origine, de l’univers initial.

- C’est tout à fait exact, mais l’inflation, si elle explique pas mal de choses (10), n’est pas complète : elle n’explique pas l’origine de certaines caractéristiques, de l’univers, comme tout simplement la présence de matière, aussi des physiciens suffisamment audacieux ont cherché d’autres voies, et certains d’entre eux ont élaboré une proposition iconoclaste : J.W. Moffat en 1993 (11), puis J. Magueijo (12) ont ainsi proposé que la vitesse de la lumière ait été beaucoup plus grande à l’époque du big bang, permettant ainsi à des régions éloignées de l’univers de s’homogénéiser et ouvrant ainsi la voie à une cosmologie sans inflation.

- La vitesse de la lumière variable ? Et puis quoi encore? D’abord G, maintenant C, et combien de constantes encore pensent-ils pouvoir ajuster à leur guise  ?

- Si l’on y réfléchit, il semble qu’il existe au moins trois constantes fondamentales : G, justement, pour la gravitation, la vitesse de la lumière C et enfin la constante de Planck, h.

- Ne me dit pas maintenant que quelqu’un propose de faire varier h, qui régit le comportement des atomes  !

- Non seulement un physicien a proposé une cosmologie avec h variable, mais il a fait varié en même temps G et C, pour aboutir à un modèle cosmologique original (13), tellement original même qu’il est resté ignoré plus ou moins volontairement, dédaigné comme le vieil oncle pétomane et gâteux qu’on n’ose plus inviter aux repas de famille, et qu’aucun physicien sérieux n’y fait référence.

- Et qui a élaboré ce modèle ?

- Un français, un trublion nommé Petit

- ha non, pas le mec des Ovnis !

- En ce qui me concerne, il peut croire au père Noël ou à la petite souris, tant qu’il publie des travaux de physique sérieux, je les lis. J’avoue que sa cosmologie gémellaire, qui aboutit à deux univers jumeaux interagissant par l’entremise de la gravité, est conceptuellement séduisante et me semble totalement cohérente. De plus, malgré un ostracisme soigneusement entretenu, il se trouve que ses idées d’univers jumeaux en interaction gravitationnelle avec le nôtre sont en train d’être reprises et développées, dans l’oubli plus ou moins volontaire des défricheurs de cette discipline (14)... Il est regrettable que des scientifiques qui se pensent sérieux ne se basent que sur la personnalité d’un auteur pour refuser d’examiner ses travaux, et non sur les travaux eux-mêmes...

- Ne m’en parle pas ! Il devient de plus en plus difficile de publier si l’on ne reste pas dans les clous de la mode...

- Et la mode est longtemps restée à considérer les constantes fixes, jusqu’à ce que le courant majoritaire de la physique n’envisage la possibilité de constantes variables...

- Tu veux dire que les Supercordes...

- Oui, tes théories favorites qui supposent que notre univers contient de nombreuses dimensions cachées laissent entendre que l’influence des différentes constantes peut s’exercer dans toutes ces dimensions, avec des variations éventuelles : si la gravité, par exemple, se déploie dans 5 dimensions, alors elle peut être très importante dans la 5éme dimension et seulement résiduelle dans les 4 autres (les notres, ce qui expliquerait sa faiblesse), et comme au cours de l’histoire de l’univers l’expansion de ces dimensions n’a pas obligatoirement été identique, la « projection » de la gravitation multidimensionnelle que nous observons dans notre univers quadridimensionnel en apparence a pu varier aussi.

- C’est résumer un peu vite. En fait, nos constantes seraient des constantes de couplage, reliées à la taille de dimensions additionnelles, qui varient en fonction du temps...

- Je ne te contredirai pas, mais avant même les supercordes, Kaluza et Klein ont postulé l’existence d’une cinquième dimension pour unifier la gravité et l’électromagnétisme, mais depuis, sous l’influence grandissante de tes collègues cordistes, le nombre de dimensions n’a fait que croître et embellir, jusqu’à atteindre la dizaine... Autant de sources possibles de variations...

- Et donc autant de motivations pour rechercher ces variations...

- Tout a fait. Des théoriciens comme Bekenstein, dès 1982 (15), ont ainsi proposé des variations de la charge de l’électron, retrouvant ainsi une des possibilités mises en évidence par Dirac, mais les efforts les plus importants se sont concentrés sur une variation hypothétique de la constante de gravitation G, et ce au moyen d’un de ses avatars qui d’ailleurs fait intervenir la charge de l’électron: alpha, la constante de structure fine.

- Mais alpha caractérise tous les phénomènes électromagnétiques... Évidemment, c’est un nombre sans dimension, et il est vrai que l’on peut facilement montrer qu’une variation d’alpha aboutirait à une modification de la gravité... C’est même assez facile (16)...

- De plus, alpha possède un intérêt qui a sauté aux yeux des amis des supercordes dans ton genre : comme elle conditionne les niveaux d’énergie des électrons dans les atomes, tout moyen d’observer ou de calculer ces niveaux d’énergie dans le passé ouvre une porte sur une démonstration expérimentale de sa variation éventuelle, et donc sur une possible détection d’un phénomène lié aux théories cordistes... Je m’étonne que tu ne sois pas au courant.

- Tu sais chez nous, on ne considère pas les expériences comme étant indispensables, ni même souhaitables. Il ne faudrait tout de même pas que des faits hideux nous empêchent de jouer avec nos belles théories et faire croître et embellir nos équations chéries (17)! Mais tout de même, prouver une des conséquences d’une des multiples versions des théories des cordes, ce serait le moyen la plus rapide d’atteindre Stockholm sans escale !

- Je ne te le fais pas dire, bien qu’en fait nous avons vu que d’autres approches que les supercordes pourraient elles aussi tirer parti de la détection de telles variations séculaires d’alpha.

- Mais je suppose que ces expériences n’ont rien donné puisqu’on n’en parle pas.

- Détrompe-toi, elles ont donné des résultats, mais ils sont encore controversés et parfois contradictoires. Certaines d’entre elles ont permis de limiter les variations acceptables de la constante, alors que d'autres ont peut-être réellement détecté les indices d’une variation d’alpha.

- Mais comment a t’on pu observer les niveaux d’énergie dans les atomes il y a plusieurs milliards d’années  ?

- L’ingéniosité des expérimentateurs surprendra toujours les théoriciens comme toi ! Plusieurs tests ont été réalisés, ils ont été résumés dans un tableau paru dans une obscure revue dissidente toulousaine... Regarde :

Image 1


- Mais ces variations éventuelles sont minimes ! Tiens, il y a quand même deux détections positives, c’est vrai, mais l’ensemble me semble bien fragile. Ces résultats ont été confirmés ?

- Ils sont en cours d’analyse, et sont soumis à une critique véhémente. Toutefois, les mesures réalisées sur les quasars, en particulier, semblent solides. Il va falloir les réitérer de façon de plus en plus précise pour les confirmer, mais elles constituent un indice que, pour le moment, on ne saurait négliger.

- Mais tout de même, une grandeur qui ne varie que de 0,005 % en dix milliards d’années... On peut appeler ça une constante, non? Et en plus, si je regarde ton tableau, je m’aperçois que tu veut m’enduire avec de l’erreur, comme dirais l’autre: ton résultat “quasar” est incompatible avec ton résultat “Oklo” !

- Ce qui prouve qu’il faut bien entendu continuer les recherches dans ce sens ! En fait, la modélisation du comportement des noyaux atomiques de Samarium est le plus souvent considérée comme étant beaucoup moins fiable que les connaissances des spectres atomiques, aussi cette discordance entre les résultats obtenus par les deux méthodes ne semble pas être rédhibitoire. De plus, on peut aussi supposer que la variation des constantes n’est pas du tout linéaire, mais qu’elle a été bien plus importante par le passé pour devenir minime à l’époque du réacteur d’Oklo, il y a 2 milliards d’années; alors que les quasars nous ouvrent une fenêtre temporelle de plus de 10 milliards d’années...
Mais le plus important est de trouver une variation, même minime : si  l’on y réfléchit, cela montre que la relativité générale ne serait qu’un cas particulier de la gravité, peut-être dans un univers quadridimensionnel, et que la variabilité, même minime, de certaines grandeurs vues auparavant comme constante nous dévoile l’existence d’autres possibilités, comme...

- Les supercordes  ?

- Nous y venons. Oui, ces fameuses structures à si petite échelle, repliées dans des espaces multidimensionnels d’une taille infime (26), et dont rien n’indique expérimentalement la validité...

- Tu t’emportes, les supercordes sont cohérentes

- Pour moi, c’est surtout un exercice géant de mathématique qui ne deviendra de la physique que le jour où des faits nouveaux seront expliqués par elles... Et peut-être est-ce le cas  ? Mais tu connais ce domaine mieux que moi.

-Il est vrai que des grandeurs très importantes de la théorie des cordes sont variables. Par exemple, le volume des dimensions supplémentaires est variable, ainsi que le dilaton...

- Le quoi  ?

- Une particule qui devrait interagir avec la matière ordinaire, C’est un champ scal...

- je t’arrête tout de suite pour souligner ta remarque : si les constantes sont variables, cette variation est minime. Cela signifie que le volume de tes « extra » dimensions, ou ton dilaton, sont quasiment stabilisés. Mais si je ne me trompe pas, ces quantités apparaissent, dans tes théories, dans l’expression de toutes les constantes, non  ?

- Oui

- Alors, forcément, toutes les constantes devraient varier, dont la constante de la gravitation de Newton, G. On devrait observer des écarts à la gravitation newtonienne à très courte distance, mais je me demande même si, a plus grande échelle, on ne devrait pas envisager la possibilité d’une variation locale de G, par exemple, liée à la géométrie de l’espace-temps; et facilement observable.

- Et aurait-on le moindre indice de ces variations à grande échelle ? Parce que pour les cordes, les dimensions surnuméraires étant microscopiques, nous ne pourrons pas observer leurs effets au niveau macroscopique...

- Je pense à l’anomalie Pionner

- Toujours tes anomalies !

- Ce sont elles qui font progresser la physique! Les petits détails, où se cache le diable de la contestation, les phénomènes dits « sans importance » mais qui ne rentrent pas dans les cadres descriptifs actuels, et qui sont les traces de la non-finitude de nos explications du monde !

- Je crois que cette anomalie, en fait, c’est le ralentissement inexpliqué d’une sonde spatiale, non  ?

- Pas exactement. Il s’agit d’une accélération en direction du soleil, extrêmement faible, tout d’abord détectée en 1998 pour les sondes Pionner (27), qui après avoir quitté la Terre en 1972 et 1973, sont à présent aux confins du système solaire, puis plus récemment identifié pour d’autres sondes spatiales, comme Galileo et Ulysses, Near ou même Rosetta (28), dont la vitesse montre une anomalie record de 13 mm/s. Pour ces dernières sondes, la direction de l’anomalie n’est pas la même, et les valeurs précises des accélérations d’origine inconnue varient selon les sondes, grossièrement selon leur distance au soleil. En somme, tout se passe comme si il existait dans le système solaire une masse supplémentaire invisible. Toutes proportions gardées, c’est le même phénomène qui a été observé dans les galaxies spirales : normalement, les étoiles les plus externes auraient du s’évader depuis longtemps des galaxies, car elles sont trop rapides. Il semble qu’elles soient maintenues en place par une force de gravité supplémentaire...

- Et provenant d’une matière invisible, la matière noire ! C’est même comme cela qu’on l’a découverte.

- On a rien découvert du tout ! On a inféré l’existence d’un élément pour résoudre faussement un problème. C’est l’équivalent de la vertu dormitive de l’opium. La matière noire, dont par définition, je dirais même par principe, on ne connaît rien ressemble plus à un mot couvrant notre ignorance qu’à un phénomène réel. C’est un deus ex machina technique plus que de la réelle physique. Sans exclure cette possibilité, Je crois qu’une nouvelle description de la gravité, incluant peut-être une variation locale de G, n’est pas à exclure. Plusieurs chercheurs ont ainsi, par exemple, proposé une gravité modifiée à petite et très grande échelle (29), ou bien l’existence de l’influence d’un univers gémellaire (30) contraignant les galaxies à conserver leur forme, sans qu’il soit besoin de faire intervenir l’hypothèse gratuite de la matière noire. Finalement, peut être il y a t’il beaucoup plus de choses dans le ciel et sur la terre, que ne peuvent en rêver toutes tes supercorderies.

-Tu ne dis que des absurdités

- Encore une fois, j’ai l’impression qu’actuellement, en physique, C'est ce que tout le monde fait. (31)

Notes & Références

1 - Dirac P.A.M.: 1937, Nature, 139, 323
2 - Voir l’excellent livre de Joao Magueijo qui décrit bien ces difficultés: Plus vite que la lumière, Dunod, quai des sciences, 2003
3 - Hoyle, F., Narlikar, J.V., Cosmological models in conformally invariant gravitational theory, Mon. Notices Roy. Astr. Soc. 155 (1972), pp.305-325.
4 - Van Flandern T.C. Is the gravitational constant changing ? Ap.J, 248 : 813-816 1981
5 - Milne E.A. Kinematic relativity, Clarendon Press, Oxford, 1948 ; et Walker A. G. Gravitation in Kinematic Relativity,  Nature 168, 961 - 962 , 01/12/951
6 - Harder A.J. E A Milne, scientific revolutions and the growth of knowledge, Ann. Sci. 31 (1974), 351-363.
7 - http://aether.lbl.gov/www/projects/cobe/
8 - Une autre explication serait qu’en fait, seules les régions homogènes de l’univers présentent des conditions telles que la vie peut s’y développer. Il existe peut-être ainsi un biais anthropique expliquant certaines des caractéristiques de l’univers observable.
9 - Guth A. The Inflationary Universe: A Possible Solution To The Horizon And Flatness Problems, physical review D, 23, 347-356 (1981)
10 - Entre autres, le problème des monopoles : 10-35 s après le big bang, des particules, les monopoles magnétiques, auraient du être produites en si grand nombre qu’elles auraient fini par faire s’effondrer l’univers sur lui même, ce dernier ne pouvant alors subsister plus de quelques milliers d’années...
11 - Moffat J. Superluminary Universe: A Possible Solution to the Initial Value Problem in Cosmology , Int. J. Mod. Phys. D, vol. 2, no 3, 1993, p. 351–366
12 - Magueijo J. New varying speed of light theories. arXiv:astro-ph/0305457v3, 15 Oct 2003
13 - Petit, J.P., Midy, P. Scale invariant Cosmology, International Journal of Modern Physics D, vol.8, Juin.1999, pp.271-280
14 - Voir les travaux récents de S. Hossenfelder : A Bi-Metric Theory with Exchange Symmetry, juillet 2008 ; puis Antigravitation, arXiv:0909.3456v1 [gr-qc], 18 Sep 2009.
15 - Bekenstein J.D. Phys. Rev. D 25, 1527 (1982).
16 - pour Algernon, sans doute, mais pour les autres, voir l’encadré « d’alpha à G ».
17 - Le physicien Lee Smolin raconte, dans son ouvrage critique Rien ne va plus en physique (Dunod, quai des sciences, 2007), p. 141 : « Les calculs étaient longs et compliqués au point de paralyser le cerveau lui-même, ils demandaient une précision absolue... Chaque ligne de calcul avait des dizaines de termes. Pour que les calculs tiennent sur le papier, ils (un groupe d’étudiants sous la direction d’un « ponte » des supercordes) utilisaient des feuilles de plus en plus grandes. Bientôt, ils ont commencé à travailler sur de grands carnets d’artistes, les plus grands qu’ils avaient trouvés. Ils couvraient chaque page d’une écriture minuscule et précise. Chaque carnet représentait des mois de travail. Le mot « monastique » me vint à l’esprit. J’étais terrifié. Je suis resté une semaine sur place, puis j’ai fui. »
18 - Fujii Y. Possible link between the changing fine-structure constant and the accelerating universe via scalar-tensor theory. Int.J.Mod.Phys. D11 (2002) 1137-1148.
Olive et al (2002) Phys Rev D ont utilisé la même méthode sur des météorites, permettant de remonter 4 milliards d’années en arrière.
19 - Olive KA, Pospelov M, Qian Y.Z., Coc A. , Casse M, Vangioni-Flam E. Constraints on the variations of the fundamental couplings. Physical Review, D66, 045022, 2002
20 - Murphy MT, Webb JK, Flambaum VV, Drinkwater MJ, Combes F, Wiklind T. Improved constraints on possible variation of physical constants from H I 21cm and molecular QSO absorption lines. Mon.Not.Roy.Astron.Soc.327:1244,2001.
Webb JK, Murphy MT, Flambaum VV, Curran SJ. Does the fine structure constant vary? A third quasar absorption sample consistent with varying alpha Astrophys.Space Sci.283:565,2003
21 - H. Marion et al. (16 auteurs!). A Search for Variations of Fundamental Constants using Atomic Fountain Clocks , 2003, Phys. Rev. Lett. 90, 150801
22 - P.P. Avelino et al., Early-universe constraints on a time-varying fine structure constant. Phys. Rev. D64, 103505 (2001)
23 - Muller J., Nordtvedt K. Lunar laser ranging and the equivalence principle signal
Phys. Rev. D 58, 062001 (1998)
24 - Institut d’Astrophysique de Paris, 2004 : http://www.iap.fr/Actualites/Archives/LaUneArticles/2004/0104/LaUneArticle_0104.html, variation confirmée par Wim Ubachs
25 - Victor Flambaum et Michael Kozlov ne confirment pas cette variation de mu : Limit on the Cosmological Variation of mp/me from the Inversion Spectrum of Ammonia, Phys. Rev. Lett. 98, 240801 (2007)
26 - Les ouvrages de B. Greene, en particulier l’univers élégant (folio essais, ed. Gallimard, 2000) et la magie du cosmos (R Laffont, 2005) sont une bonne introduction aux supercordes. Ne pas oublier de lire aussi l’ouvrage critique de Smolin, histoire de savoir raison garder...
27 - Anderson J.D. et al. Indication, from Pioneer 10/11, Galileo, and Ulysses Data, of an Apparent Anomalous, Weak, Long-Range Acceleration. Phys.Rev.Lett. 81 (1998), 2858-2861.
28 - American institute of physics - http://www.aip.org/pnu/2008/split/857-2.html
29 - En 1983, le Pr. Milgram a proposé une modification de la gravitation à grande échelle (MOND=MOdified Newton Dynamic) pour expliquer la répartition observée des vitesses des étoiles extérieures des galaxies. Depuis, pas moins de 287 articles sont parus sur cette théorie, reconnue comme étant une des solutions possibles de la relativité générale et expliquant elle aussi les résultats cosmologiques observés jusqu’ici. Wikipedia propose une bonne description de cette théorie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_MOND. Une description plus simple est accessible sur les podcasts de la revue Ciel & Espace : http://cieletespaceradio.fr/index.php/2006/12/21/36-mond
30 - A tout seigneur... JP Petit propose sur ses pages un résumé didactique clair de son modèle cosmologique : http://www.jp-petit.org/science/f200/sommaire_de_f200.htm. Des travaux récents reprennent ses idées (souvent dans le citer...) sous le nom de cosmologie bimétrique. D’autres auteurs, comme A. Corichiet et Parampreet Singh, en utilisant une théorie de la gravité (concurrente aux supercordes) dite « gravité quantique à boucle », proposent eux aussi l’existence d’univers jumeaux. Toutefois, les idées à l’origine de ces conceptions proviennent de physiciens soviétiques comme A. Sakharov et A. Linde.
31 - Réplique librement inspirée d’ Oscar Wilde, de l'importance d'être constant, 1895