DU NOUVEAU SUR LE SOLEIL
Notre étoile accumule les frasques et met en difficulté les théoriciens

Décembre 2003



Quelques chiffres
Distance : 150 million km
Diamètre 1.4 million km (110 fois la Terre)
Etat physique : plasma tenu et gazeux près de la surface, de plus en plus dense vers le centre de l’astre
Source d’énergie: fusion thermonucléaire de l’hydrogène

Un principe de fonctionnement connu

Après des millénaires d’interrogations et d’explications qui nous paraissent farfelues (chariots de feu, boule de charbon, gaz incandescent, gaz en contraction...) le fonctionnement des étoiles a pu être décrit dans ses grandes lignes après la seconde guerre mondiale, lorsque les recherches militaires permirent la découverte des réactions de fusion thermonucléaire. Les grandes lignes de l’histoire stellaire sont aujourd’hui connues.
Lorsqu’une étoile naît, une grande masse d’hydrogène se concentre, son diamètre diminue, sa densité augmente jusqu’au point où dans son coeur les atomes d’hydrogène sont si serrés et si agités que, malgré la répulsion qu’ils s’inspirent, leurs noyaux se “collent”: ils fusionnent, se transforment en hélium en libérant une énorme quantité d’énergie. Cette production d’énergie tend à faire exploser l’étoile, dont la masse provoque au contraire la contraction. Résultat: l’étoile se maintient de façon à équilibrer ces deux forces: toute étoile est donc sur la corde raide, et navigue toute sa vie entre le Charybde de l’explosion et le Scylla de l’effondrement gravitationnel. Quand une étoile manque d’énergie, elle se contracte, et si elle en a trop, elle gonfle.

A la fin de leur vie, les petites étoiles comme notre Soleil s’éteignent doucement, ne trouvant plus dans leur coeur d’hydrogène à fusionner. Mais les grosses étoiles (plus de 8 masses solaires), elles, contiennent suffisamment de matière pourqu’en se contractant elles puissent réaliser de nouveaux collages, de nouvelles fusions entre atomes: après avoir, pendant des millions d’années, fusionné de l’hydrogène en hélium, elles se mettent à “coller” les noyaux des atomes d’hélium ensemble pour former du carbone, puis du néon, puis de l’oxygène, du magnésium, du silicium...

Cependant, plus les atomes à assembler sont lourds et plus il faut d’énergie à l’étoile pour les fusionner: elle se contracte donc, de plus en plus, mais les fusions successives durent de moins en moins longtemps: Le mécanisme finit par s’emballer, l’étoile fusionne des éléments les uns après les autres en prend une structure en “pelure d’oignon”, où à chaque niveau correspond une fusion, une fabrication d’un atome précis. Jusqu’au moment où dans le coeur de l’étoile va s’accumuler du fer. C’est le cul de sac de la fusion: le fer étant l’atome le plus stable, il faut une énergie énorme pour le fusionner. Cette énergie, l’étoile ne l’a pas. Alors, brutalement, la fusion s’arrête dans son coeur de fer mais continue dans les différentes couches de l’étoile. Les atomes de fer formés s’accumulent en son centre. Lorsque la masse de fer devient trop grande, les atomes sont trop serrés et, soumis à une pression énorme, s’effondrent pour former un noyau atomique géant, quasiment incompressible: les couches externes de l’étoile se précipitent à grande vitesse sur ce coeur... sur lequel elles rebondissent avec une force incroyable, générant des ondes de choc et des ondes sonores qui, en quelques microsondes, font explose l’étoile et forment ce que l’on appelle une supernova. L’énergie dégagée est telle qu’une fraction du fer fusionne pour donner une suite d’éléments plus lourds, comme le plomb, le titane, l’or et l’uranium par exemple. L’explosion des supernovae creuse donc des “trous” dans le milieu galactique, concentrant la matière interstellaire au niveau de la paroi de gigantesques bulles aux frontières desquelles la nouvelle génération stellaire se formera. Il reste de la supernova une naine blanche, une étoile à neutron ou, mystère ultime, un trou noir.

Une activité importante
La sonde SOHO , placée en orbite autour de notre étoile, nous as révélé une activité plus intense que prévue. L’activité de notre étoile est cyclique, et maximale tous les 11 ans actuellement (Entre 1645 et 1715, pour une raison inconnu, le soleil resta inactif quelques décennies, période appelée “minimum de Maunder, et coïncidant avec un refroidissement du climat de l’hémisphère N de la Terre). Nous sortons actuellement d’un maximum d’activité solaire qui a culminé en 2001.
L’activité solaire s’exprime par celle de ses champs magnétiques:
- Soit les champs guident le plasma dans des boucles qui le reconduisent vers la surface, et ce sont des éruptions solaires formées de plasma suivant les lignes de force du champ.
- soit les lignes de champ sont ouvertes, et le plasma est éjecté à 120000 km/h (“vent solaire” quasi permanent) ou bien plus vite, par bouffées (éjections coronales, expulsions irrégulières de 10
17 g de gaz à des vitesses de 300 km/s en moyenne)

Les tempêtes magnétiques les plus violentes peuvent atteindre la Terre, traverser sa magnétosphère près des pôles et causer des aurores boréales mais également des perturbations électriques, de communication radio, voire la perte de satellites.

Une composition énigmatique
La composition du soleil semble un fait établi:
- Hydrogène ( 92 % des atomes, représentant 75% de la masse)
- Hélium (8 % des atomes, représentant 25% de la masse).
- 0.1% d’éléments plus lourds comme le carbone, l’azote, l’oxygene, le neon, le magnesium, le silicium et le fer .
A chaque seconde 700 millions de tonnes d’Hydrogène sont fusionnées en 695 millions de tonnes d’Hélium, la masse manquante étant intégralement convertie en énergie selon la célébrissime formule E=MC
2. Et pourtant... Avec obstination, depuis les années 70, O. Manuel, professeur de chimie à l’université du Missouri et spécialiste en physique nucléaire, pense que plusieurs faits expérimentaux ne s’accordent pas avec cette conception (1). Il est partisan d’une composition solaire riche en fer, faisant de notre étoile le noyau d’une ancienne supernova à l’origine de notre système solaire... La fusion de l’hydrogène ne se produirait alors que dans les couches externes de notre étoile, et la quantité d’hydrogène disponible serait bien plus faible que prévue. A l’appui de cette thèse, plusieurs résultats récents ont montré que même des étoiles très jeunes (situées très loin, dans des quasar), contenaient déjà des quantité appréciables de fer, en contradiction avec les modèles qui veulent que les étoiles primordiales aient synthétisé cet élément à partir de l’hydrogène primordial...
Le Pr Manuel tire l’essentiel de ses arguments de l’analyse de la composition des météorites ainsi que de la mesure des rapports d’isotopes radio-actifs présents au niveau des différentes planètes de notre système solaire.

tablosun
Bien que ses idées ne reçoivent que peu d’écho, il continu de peaufiner son modèle qui pourrait, malgré les difficultés qu’il soulève, recevoir un renfort inattendu de la part des astronomes qui étudient la structure interne du soleil.

Ces recherches sont du domaine de la sismologie solaire, qui a fait d’énormes progrès récents grâce au satellite
SOHO et aux expériences au sol GONG. Les transferts de chaleur dans le soleil génèrent de faibles variations de pression, des ondes acoustiques, des “séismes” (exactement comme le “bruit” de l’eau qui va bouillir) qui se propagent dans le soleil et le font vibrer avec une période de 5 mn environ, soit 3 mHz. On observe les vibrations solaires au niveau des granules, cellules convectives d’environ 1000 km. Ces vibrations solaires se propagent et vont se réfléchir sur les différentes couches intérieures. L'étude de ces vibrations permet donc de "voir" l'intérieur du Soleil. Les instruments très sensibles de SOHO ont ainsi permis pour la première fois de sonder les régions les plus internes du soleil. Jusqu’ici, les modèles régulièrement recopiés les uns sur les autres décrivaient une étoile dont les couches internes tournaient de plus en plus vite au fur et à mesure que l’on se rapproche du centre. Une surprise de taille attendait les astronomes: alors qu’en surface la rotation du soleil est différentielle (l’équateur tournant en 27 jours alors que les pôles mettent 7 jours de plus à boucler une rotation), les observations révèlent que l'intérieur du Soleil tourne à une vitesse constante, comme le ferait un ... solide ! (2, 3)
En fait, le soleil maintient une rotation “différentielle” sur 30 % de son rayon , dans une région dite zone convective. La transition avec un régime de rotation uniforme est brusque, et à lieu dans une zone où prend naissance le champ magnétique de la surface solaire, responsable de la majorité des manifestations de l’activité solaire. Ce comportement solide de l’intérieur solaire se maintient sur près de 85 % de son rayon, ce qui s’oppose totalement aux modèles en vigueur (4).

Dès lors, il faut réviser les conceptions (ce qui est toujours douloureux!) qui font du soleil un corps essentiellement gazeux. Les possibilités sont soit d’avoir un intérieur réellement solide (c’est un peu l’idée de Manuel, qui verrai bien cette rotation solide concerner le coeur ferreux hypothétique de notre étoile), soit de trouver un mécanisme had oc capable de “solidifier” un plasma. C’est ce que font la plupart des astronomes qui pensent que les champs magnétiques solaires peuvent , en quelque sorte, rigidifier le plasma et le conduire à se comporter comme un solide.
Cependant, notre étoile facétieuse défiait encore les théoriciens sur le terrain apparemment exploré de la fusion nucléaire.

Un mode de fonctionnement dont les détails sont mystérieux.
Dès 1930, le remarquable physicien W. Pauli, découvreur du spin de l'électron et du principe qui porte son nom, avait supposé l'existence d'une particule nouvelle susceptible d'emporter l'énergie qui manquait après certaines réactions nucléaires, comme celles qui alimentent le soleil. Cette particule, le neutrino, possède la particularité d'être difficilement détectable, car elle se lie très peu avec les autres particules: voyageant à la vitesse de la lumière, 65 milliards de neutrinos traversent à chaque seconde chaque centimètre carré de votre corps. Détectés en 1956, ces particules posèrent problème dès 1967:
La quantité observée de neutrinos solaires était très inférieure à la quantité calculée: des neutrinos manquaient à l'appel! Pour expliquer ce déficit, on devait soit incriminer le soleil, qui ne devait pas fonctionner comme on le croyait (C’est l’hypothèse de Manuel), soit croire que les neutrinos ne se comportaient pas comme prévu.
En fait, il existe trois types de neutrinos, et les détecteurs n'en mettait en évidence, avec peine, qu'un seul. On pouvait croire que les neutrinos pouvaient se transformer d'une espèce dans l'autre au cours de leur voyage, et ainsi le déficit observé trouverai son explication. En 2002, plusieurs expériences (SNO, Kamland, super Kamiokande) ont montré qu'en effet, les neutrinos peuvent se transformer (5) d'une espèce dans l'autre (dès 1998, il était établi que les neutrinos non solaires pouvait se comporter ainsi).
Ces résultats sont fondamentaux, car les neutrinos ne peuvent posséder un tel comportement si ils ont une masse nulle: le neutrino est donc massif. Ors,
les neutrinos sont si nombreux qu'ils "pèsent" a eux seul autant que toute la matière visible de l'univers... Leur contribution à la géométrie de l'univers n'est donc pas négligeable.

Autre conséquence, il est possible, à présent que l'ordre de grandeur de la masse des neutrinos est connue, de les situer par rapport aux autres particules... On constate alors qu'ils se situent bien à l'écart de ces dernières.... Fait encore plus troublant, si, comme le modèle standard des particule le postule, la masse est causée par interaction avec une particule (6) a découvrir, le boson de Higgs (tous les physiciens nucléaires sont sur sa piste!), ce boson ne peut donner une masse aux neutrinos... On a donc le problème suivant:
- si le neutrino est non massif, alors le soleil ne peut fonctionner comme on le pense
- si le neutrino est massif, alors l'ensemble des particules matérielles ne peut tirer sa masse du processus postulé jusqu'ici.
Et comme le neutrino possède une masse.... il va falloir compléter, voire refondre, le modèle standard, credo de la physique depuis plus d'un demi siècle...

D’autres observations, d’autres expériences et d’autres théories seront nécessaires pour sonder le coeur de notre étoile: est elle en rotation rapide, reliquat de sa formation ? Notre étoile possède t’elle un coeur de fer, comme le pense Manuel? Quel est l’effet des champs magnétiques sur les mouvements de gaz d’une densité de et à une température de 15 millions de degrés ? Comment se comporte la matière à cette température et à forte densité ?
Bien des observations devront être menées, bien des esprits devront s’ouvrir aux surprenants mystères stellaires pour que nous connaissions un peu mieux cette étoile énigmatique dont nos vies dépendent.


Références & sites

1 - Manuel O. Why the model of a hydrogen-filled sun is obsolete - 199 ème AAS annual meeting, Washington DC, 7/01/2002
2 - Foglizzo T., Garcìa R.A., Boumier P., Charra J., Gabriel A.H., Grec G., Robillot J.M., Roca Cortés T., Turck-Chièze S., Ulrich R.K., 1998, " Are solar acoustic modes correlated ? ", A&A 330, 336
3 - Foglizzo T., 1998, " Are solar granules the only source of acoustic oscillations ? ", submitted to A&A
4 - Couvidat S., Garcia R.A., Turck-Chièze S., Corbard T., Henney C.J., Jiménez-Reyes.S. The rotation of the deep solar layers ": Astrophysical Journal Letters, 2004 version en ligne :
http://www./dapnia.cea.fr/Phys/Sap/Actualites/Breves/turck030916/turck030916_fr.shtml
5 - Mc Donald A, Klein J, Wark D. L'énigme des neutrinos solaires résolue. Pour la Science/ 312/10/2003
6 - Veltman M. Le Boson de Higgs /Pour la Science 111/ 1/1987

Sites:
http://sohowww.nascom.nasa.gov/
http://www.kis.uni-freiburg.de/~pnb/granmovtext1.html
http://sohowww.nascom.nasa.gov/gallery/current/ (de splendides images et video de l’acticité solaire au jour le jour)
http://www.spaceweather.com/ (la meteo de notre étoile: aurores boréales, tempétes magnétiques...)