Acte 1: Le top départ
" Nous sommes tous nés d'une semence venue du ciel "
Lucrèce (98-55), De natura rerum

Des pièces détachées, et de la colle

Que devrions nous trouver dans le plus simple des kits permettant de construire un être vivant à monter soi-même? Tout simplement les éléments les plus simples à partir desquels nous pourrions assembler n'importe quelle bestiole, de la bactérie à l'éléphant, et une bonne colle pour faire tenir tout cela ensemble. Ces pièces détachées, ce sont les molécules du vivant. Elles sont constituées d'atomes, principalement de carbone, d'oxygène, d'hydrogène et d'azote dont vous, moi, les voisins, les brins d'herbe et les bactéries sommes faits. Sur la centaine d'espèces d'atomes différents que l'on trouve dans l'univers, 24 sont nécessaires aux molécules constituants les êtres vivants. La colle, c'est l'énergie nécessaire pour lier ensemble ces atomes dans les molécules qui constituent l'essentiel de notre environnement. Nous reviendrons en détail sur les molécules des êtres vivants, mais déjà nous pouvons rapidement faire connaissance avec les plus représentatives des pièces détachées nécessaires à l'assemblage d'une bactérie par exemple: Nous trouvons 4 familles moléculaires:

- les acides aminés, contenant de l'azote, qui sont des briques à protéines

- les acides nucléiques, riches en phosphates, permettent de construire de l'ADN et d'autres molécules capables de contenir, reproduire et transmettre une information

- les sucres qui permettent le fonctionnement des cellules, leur reconnaissance et la consolidation de leurs membranes

- les phospholipides qui constituent les membranes permettant de séparer l'intérieur de l'extérieur des individus

Beaucoup de ces molécules contiennent un ou plusieurs cycles carbonés, dont la formation peut nous renseigner sur les toutes premières étapes ayant conduit à l'élaboration des êtres vivants. Mais bien avant de former des cycles, il fallait déjà avoir du carbone à assembler! C'est à ce niveau que commence notre aventure, qui va nous montrer que l'histoire de notre univers et celle de la vie sont indissolublement liées.

 


Au tout début, il y a plus de 10 milliards d'années, seul deux atomes étaient disponibles en grande quantité: l'atome d'hydrogène (majoritaire) et son voisin l'atome d'hélium (que l'on ne trouve pas dans les êtres vivants). Le premier acte de la comédie vitale va donc consister à obtenir une grande variété d'atomes, puis de molécules différentes à partir du seul hydrogène. Pour la colle, nous verrons qu'elle est disponible en quantité, et sous bien des formes. Notre quête va donc débuter il y a 12 milliards d'années, dans une région de l'univers ou d'immenses nuages d'hydrogène sont en train de se contracter. Approchons: notre galaxie est en train de naître...

L'échelle galactique

Une énorme masse de gaz (75% hydrogène, 25% d'hélium), vaguement sphérique et en rotation est en train de s'aplatir pour former un disque. Ce globe n'est pas d'un seul tenant: il est parcouru d'instabilités, de nodules, de courants gazeux qui en brassent localement les constituants. Les premières étoiles qui se sont formées aux frontières de ce nuage ont été à l'origine des amas globulaires, qui forment un halo sphérique autour du disque galactique. Bien plus tard, les premières étoiles vont également s'allumer dans le disque galactique.

Vue simplifiée de "notre" galaxie, la voie lactée

Actuellement, notre galaxie se présente comme une immense galette de 100000 années lumières (A.L.) de diamètre et 1000 d'épaisseur, ressemblant assez à un uf au plat: un centre quasi sphérique et un disque aplati divisé en plusieurs bras. Tout autour du disque, dans une sphère de 100000 A.L. de diamètre, nous trouvons des amas sphériques d'étoiles extrêmement vieilles constituant les amas globulaires. Le disque galactique doit principalement son aspect aux étoiles et aux nuages de gaz qui, sous l'effet des rayonnements stellaires, deviennent eux mêmes lumineux, bien que l'on y trouve également des nuages de poussière obscure. Ces différents nuages sont confinés dans la plan galactique, sur une épaisseur de 150 A.L. seulement. Même ainsi, notre description n'est pas complète: nous ne voyons de la galaxie que les objets qui émettent (ou interceptent) de la lumière, et nombre d'astres obscurs nous sont encore, probablement, inconnus. Ce que nous voyons de la galaxie est comparable à ce que nous verrions d'une forêt sous la pâle lueur de la Lune: quelques scintillements sur les feuilles nous laissent supposer la présence d'autres structures invisibles pour l'instant. En étudiant la façon dont se forment les galaxies, certains chercheurs en sont même arrivés à supposer que notre environnement galactique "visible" tout entier doit sa forme à des forces en provenance d'un autre "coté" de l'univers, un "univers fantôme" symétrique du notre, a jamais invisible pour nos yeux.

Notre soleil décrit une orbite à 30000 A.L. du centre galactique, qu'il parcourt en 300 millions d'années. Cette orbite n'est pas parfaitement elliptique, et notre étoile navigue donc à l'intérieur d'un mince anneau dans lequel elle peut se rapprocher, lors d'une orbite, d'une étoile qu'elle ne rencontrera plus par la suite... Le soleil a déjà fait 15 fois le tour de la voie lactée à la vitesse de 220 km/s! Comme notre étoile tourne plus rapidement que les bras spiraux de la Voie Lactée, il traverse successivement de nombreuses régions plus ou moins riches en matière interstellaire. Actuellement, le soleil et nombre de ses voisines (Sirius, Véga, Altaïr, Aldébaran...) se trouvent dans ce que l'on appelle la "bulle locale", un espace quasi sphérique de 500 A.L. de diamètre qui contient très peu de matière interstellaire et s'intercale entre des nuages moléculaires bien plus denses.


Les étoiles, des fabricantes de matière première pour organismes vivants

Notre galaxie ne contenait à l'origine que de l'hydrogène, de l'hélium et quelques traces de lithium et béryllium. Pas de quoi construire le moindre être vivant, ni la moindre planète un tant soit peu solide... Alors d'où sont venus les atomes variés qui constituent notre planète et ses habitants? Tout simplement des étoiles qui les ont fabriqués à partir de l'hydrogène et de l'hélium disponible.

Lorsqu'une étoile naît, une grande masse d'hydrogène se condense, son diamètre diminue, sa densité augmente jusqu'au point où dans son coeur les atomes d'hydrogène sont si serrés et si agités que, malgré la répulsion qu'ils s'inspirent, leurs noyaux se "collent": ils fusionnent, se transforment en hélium en libérant une énorme quantité d'énergie. Cette production d'énergie tend à faire exploser l'étoile, dont la masse provoque au contraire la contraction. Résultat: l'étoile se maintient de façon à équilibrer ces deux forces: toute étoile est donc sur la corde raide, et navigue toute sa vie entre le Charybde de l'explosion et le Scylla de l'effondrement gravitationnel. Quand une étoile manque d'énergie, elle se contracte, et si elle en a trop, elle gonfle.

A la fin de leur vie, les petites étoiles comme notre Soleil s'éteignent doucement, ne trouvant plus dans leur coeur d'hydrogène à fusionner. Elles n'auront fabriqué que de l'hélium et, vers la fin de leur vie, un peu de carbone. Mais les premières étoiles qui se sont formées alors que la galaxie était encore en contraction possédaient une masse bien plus importante, s'étant condensées dans un milieu où la matière était surabondante. Ces grosses étoiles (plus de 8 masses solaires), elles, contiennent suffisamment de matière pourqu'en se contractant elles puissent réaliser de nouveaux collages, de nouvelles fusions entre atomes: après avoir, pendant des millions d'années, fusionné de l'hydrogène en hélium, elles se mettent à "coller" les noyaux des atomes d'hélium ensemble pour former du carbone, puis du néon, puis de l'oxygène, du magnésium, du silicium...

Cependant, plus les atomes à assembler sont lourds et plus il faut d'énergie à l'étoile pour les fusionner: elle se contracte donc, de plus en plus, mais ces fusions successives durent de moins en moins longtemps: Le mécanisme finit par s'emballer, l'étoile fusionne des éléments les uns après les autres en prend une structure en "pelure d'oignon", où à chaque niveau correspond une fusion, une fabrication d'un atome précis. Jusqu'où cela va-t'il ? Jusqu'au moment où dans le coeur de l'étoile va s'accumuler du fer. C'est le cul de sac de la fusion: le fer étant l'atome le plus stable, il faut une énergie énorme pour le fusionner. Cette énergie, l'étoile ne l'a pas. Alors, brutalement, la fusion s'arrête dans son coeur de fer mais continue dans les différentes couches de l'étoile. Les atomes de fer formés s'accumulent en son centre. Lorsque la masse de fer devient trop grande, les atomes sont trop serrés et, soumis à une pression énorme, ils s'effondrent pour former un noyau atomique géant, quasiment incompressible: les couches externes de l'étoile se précipitent à grande vitesse sur ce coeur... sur lequel elles rebondissent avec une force incroyable, générant des ondes de choc et des ondes sonores d'une énergie fantastique: en quelques microsondes, l'étoile explose et forme ce que l'on appelle une supernova. L'énergie dégagée est telle qu'une fraction du fer fusionne pour donner une suite d'éléments plus lourds, comme le plomb, le titane, l'or et l'uranium par exemple. Ainsi, l'or de vos bagues provient de l'atmosphère d'une étoile en explosion. Cette explosion disperse dans l'espace les atomes constituant l'étoile: de l'hydrogène inutilisé, de l'hélium et toute une suite d'atomes plus lourds comme le carbone ou l'oxygène. La supernova est aussi une source d'ondes de choc qui pourront amorcer la contraction d'autres nuages gazeux. A leur tour, ceux-ci, enrichis en éléments lourds, formeront une deuxième génération d'étoiles, de tailles variées. L'explosion des supernovae creuse donc des "trous" dans le milieu galactique, concentrant la matière interstellaire au niveau de la paroi de gigantesques bulles aux frontières desquelles la nouvelle génération stellaire se formera.

Destin de deux étoiles: celle de type solaire vit longtemps mais enrichit peu le milieu interstellaire en atomes nouveaux (bien qu'elle synthétise certaines molécules organiques).
La supergéante, au contraire, a une vie brève mais fabrique les éléments indispensables à la vie.

Si les étoiles géantes ne durent pas longtemps, quelques dizaines de millions d'années, les étoiles plus légères, comme le soleil, peuvent fusionner en toute quiétude pendant 10 milliards d'années. Les étoiles géantes présentent donc l'avantage d'enrichir rapidement le milieu interstellaire et de provoquer indirectement l'effondrement d'autres nuages gazeux: elles amorcent des réactions en chaîne aboutissant à l'apparition d'une grande variété d'étoiles différentes. Il en résulte qu'au début de la formation de la galaxie, de très nombreuses étoiles géantes ont dû connaître une fin explosive alors même que le disque galactique n'était pas formé: elles ont été à l'origine de nombreuses ondes de choc et des turbulences impliquées dans la formation du plan principal de la galaxie.

L'enrichissement du milieu interstellaire n'est pas uniquement le fait des étoiles explosives: parmi les moins massives, les réactions de fusion peuvent s'arréter avant d'atteindre le stade du fer, surtout au niveau de la synthèse de carbone, qui demande environ un demi million d'années. Lorsque l'étoile ne fonctionnera plus, ses rayonnements disperseront dans l'espace son enveloppe d'hydrogène enrichie d'hélium et de carbone. On lit souvent dans les ouvrages d'astronomie que seules les supernovae enrichissent le milieu interstellaire en éléments lourds. Ce n'est donc pas tout à fait exact: les étoiles qui sont juste un peu plus massives que le soleil utilisent le carbone, l'oxygène et l'azote pour entretenir les fusions qui leur donnent de l'énergie. De même, la fusion nucléaire n'est pas le seul mécanisme permettant de fabriquer de nouveaux atomes: l'azote se forme à partir d'atomes d'oxygène qui reçoivent des rayonnements a en provenance du coeur de l'étoile, par exemple. Ce processus, appelé spallation, permet de fabriquer plusieurs atomes différents, dont certains se décomposeront car ils sont instables: on les dit radio-actifs. De même, l'explosion d'une étoile n'est pas la seule façon de communiquer des éléments lourds à l'environnement galactique: la majorité des étoiles émettent de la matière sous la forme d'un "vent stellaire" qui, vers la fin de leur vie, est enrichi en éléments comme le carbone. Ainsi, au fil des générations successives d'étoiles de taille variée, les nuages de gaz s'enrichissent progressivement en atomes lourds, s'effondrent, se condensent, forment une autre génération d'étoile qui à son tour enrichit le milieu: pendant 7 à 8 milliards d'années, chaque génération stellaire augmente l'accumulation de carbone, d'oxygène et d'azote dans les nuages de gaz du disque galactique. Lorsque cette quantité devient suffisante, de nombreuses molécules différentes seront disponibles dans l'espace, et des planètes solides vont pouvoir se former avec les étoiles et s'entourer d'une atmosphère.

L'oxygène et le carbone donnent le top départ de la vie

Les êtres vivants que nous connaissons possèdent tous la même composition chimique: ils sont fait principalement de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote. S'y rajoutent quelques éléments d'une grande importance biochimique comme le phosphore, le fer, le magnésium, le zinc.... Les proportions quantitatives de quelques atomes contenus dans le corps humain (à ce niveau, on trouve quasiment les mêmes chiffres avec une bactérie ou une laitue!) nous donnent les résultats mentionnés dans le tableau suivant:

Pourquoi l'oxygène et le carbone sont-ils si importants pour les êtres vivants?

L'oxygène est d'un grand intérêt pour deux raisons: tout d'abord, un atome d'oxygène s'associant avec deux d'hydrogène nous donne la molécule d'eau, qui compose souvent plus de 75 % de la masse des êtres vivants. Cette molécule toute simple présente, nous le verrons, des propriétés exceptionnelles. De plus, de nombreuses roches composant les planètes telluriques sont des oxydes. La formation de planètes, d'eau et d'êtres vivants nécessite donc la présence dans le milieu interstellaire d'une quantité minimale de cet atome.

Ensuite, cet élément n'est formé que par les grosses étoiles, les autres, nous l'avons vu, arrêtant leurs synthèses au stade du carbone. Il en résulte que la disponibilité galactique de l'oxygène conditionne l'apparition de planètes tellurique et d'êtres vivants.

Le carbone présente des caractéristiques qui font de cet atome l'indispensable "squelette" des molécules des êtres vivants: il est capable de prêter 4 électrons à d'autres atomes et peut ainsi se lier à 4 voisins pour former des édifices moléculaires d'une étonnante variété, allant du simple méthane CH4 aux milliers d'atomes constituant une protéine ou l'ADN. Les liaisons établies par le carbone sont également très intéressantes par leur force: celle-ci est suffisamment élevée pour que les atomes restent liés dans des molécules sans s'éparpiller à la moindre augmentation de température et suffisamment faible pour que des "échanges de partenaires", des réactions chimiques puissent avoir lieu sans demander trop d'énergie. La disponibilité galactique du carbone est de plus relativement élevée: le milieu interstellaire s'enrichit facilement en cet élément.


Origine de la poussière interstellaire

Outre des gaz, le milieu interstellaire est riche en poussières dont nous verrons l'importance lors des phénomènes aboutissant à la formation de molécules complexes. La plupart des particules de poussière interstellaire prennent naissance à partir des particules de silicates qui se condensent dans l'atmosphère des étoiles supergéantes, dites de classe M. La pression de radiation causée par le rayonnement stellaire propulse dans l'espace ces grains, leur température n'étant plus alors que de l'ordre de la dizaine de Kelvin (- 263 °C). Initialement amorphes, ils adoptent alors une configuration partiellement ou totalement cristalline. C'est à partir de ces grains que vont se condenser les poussières interstellaires. Bien que ces processus se déroulent dans un environnement très peu dense, les grains grossissent en incorporant puis en modifiant les éléments qu'ils rencontrent. Le carbone sous forme de graphite, provenant lui aussi des atmosphères stellaires, entre également dans la composition de la poussière interstellaire. Les étoiles vieillissantes élaborent aussi dans leur atmosphère des molécules organiques complexes: elles sont une source de benzène et d'autres molécules comprenant jusqu'à 6 atomes de carbone (polyacétylènes).

Hydrogène, atomes plus lourds et poussières sont disponibles en grande quantité dans des vastes régions de la galaxie, les nuages de gaz à partir desquels de nouvelles étoiles et leur cortège de planètes se forment. Carbone des étoiles, hydrogène de l'univers et oxygène des supernovae forment, avec l'azote des atmosphères stellaires, l'essentiel des atomes que l'on retrouve dans tous les êtres vivants connus. Tous sont donc, au point de vue atomique, les fils des étoiles. Nous allons voir par la suite que cette filiation ne s'arrête pas là, et que nous sommes bien plus intimement encore liés au cosmos qui nous contient.

D'autres atomes peuvent-ils remplacer le carbone pour les êtres vivants?

Il a été proposé que le silicium, qui présente des caractères chimiques communs avec le carbone, puisse éventuellement remplacer celui-ci dans une "biochimie" extraterrestre. Cependant, comme la nucléosynthèse du silicium a lieu après celle du carbone dans les supernovae, le milieu interstellaire s'enrichit plus rapidement en carbone. De plus, le silicium forme des liaisons chimiques qui sont bien plus solides que celles formées par le carbone: la pérennance des liaisons chimiques du silicium impliquerait l'existence de formes de vie très résistantes mais à évolution et reproduction très lente. Or, l'absence d'évolution, c'est la mort... Cependant, dans un environnement énergétique particulier (températures élevées pendant de longues périodes, forte pression...) le silicium pourrait, de par sa solidité, présenter des avantages lui permettant d'être à la base de réactions conduisant à des édifices moléculaires complexes, peut-être à des formes de vie, mais qui resteraient très dépendantes de la constance des conditions physiques assurant la possibilité de réactions chimiques "au silicium" à des vitesses raisonnables. Il est également possible d'envisager une "infra-chimie" se produisant au niveau du noyau atomique, ou des ensembles complexes, quasi-vivants, pourraient émerger pendant des intervalles de temps extrêmement réduits. Cette hypothèse théorique ne pouvant être testée, elle ne peut, dans le cadre actuel de notre technologie, constituer une piste valide de recherche.


Les étoiles naissent ensemble, les formes de vie aussi

Lorsque les nuages de gaz du plan galactique reçoivent des ondes de choc en provenance des supernovae ou bien subissent des effets de marée dus à l'absorption par notre galaxie de compagnons plus petits qu'elle; ils amorcent une condensation aboutissant à la formation d'un ensemble d'étoiles, de masses variées, mais dérivant toutes d'un nuage de composition assez homogène. Ces nuages s'étalent sur plusieurs dizaines d'A.L., et renferment des régions globulaires froides où se produisent de nombreuses réactions chimiques, enrichissant le milieu en molécules variées, dont du di-hydrogène H2. De ces zones pourront naître plus de 100000 étoiles de type solaire. Pour cela, le champ magnétique qui tend à disperser les molécules du nuage devra avoir été vaincu par la gravité des molécules neutres qu'il contient, ce qui nécessite normalement quelques millions d'années. Toutefois, ce processus est très fortement accéléré par les ondes de choc qui parcourent le plan de la galaxie.

vague de formation stellaire

La formation des étoiles n'est donc pas un processus continu: elle s'établit par vagues successives créant des "générations" stellaires dans un environnement de plus en plus riche en atomes lourds. En dehors des périodes de formation stellaire, on considère que chaque année seulement 5 à 6 masses solaires se condensent en étoiles. Les plus vieilles étoiles contiennent à peine 0,1 % de d'atomes "lourds" alors que notre soleil compte 1,5 % de CNO. Les étoiles les plus jeunes de la galaxie contiennent jusqu'à 3% d'éléments lourds, montrant que l'enrichissement du milieu interstellaire se poursuit.

Quatre "générations stellaires" ont été identifiées dans notre galaxie. Notre soleil appartenant à la troisième, on peut supposer que c'est à partir de cette époque que la quantité d'éléments lourds disponibles a donné le "top départ" de la vie.

Pour notre voie lactée, les nuages moléculaires et la plupart des étoiles de grande masse se situent dans le plan de la galaxie. On suppose que des perturbations d'origine gravitationnelles, impliquant peut-être les nuages de Magellan, deux galaxies satellites de la notre, ont été à l'origine de 3 ou 4 grandes périodes de formation stellaire impliquant 3 stades d'enrichissement du milieu galactique en éléments lourds. On peut considérer que ces éléments ont été disponibles en quantité suffisante il y a 5 à 6 milliards d'années environ: c'est à cette époque que je situe le "top départ" stellaire pour l'apparition du "phénomène vivant". Cela nous fournit une date butoir, bien que très imprécise, pour l'apparition de la vie dans notre galaxie. En effet, notre soleil fait partie de cette génération stellaire, et bien que l'on puisse impliquer également les étoiles de la génération précédente, formées il y a 9 milliards d'années, rien ne nous confirme que les éléments lourds étaient alors assez abondants pour permettre la vie. A contrario, le fait que vous lisiez ce livre nous prouve que la génération stellaire suivante en contenait assez pour que la vie apparaisse...

Cette idée que la disponibilité des éléments lourds est une condition clef de l'évolution des systèmes stellaires vers la formation de planètes, puis de formes de vie, est corroborée par deux faits d'observation:

- L'étude grâce au télescope Hubble de 34000 étoiles de l'amas globulaire 47 Tucanae n'a pas permis d'y détecter aucune planète. Statistiquement, une trentaine aurait dû y être découverte. Or, les amas globulaires sont constitués d'étoiles très vieilles (plus de 10 milliards d'années!), qui se sont formées dans un milieu très pauvre en éléments lourds.

- La plupart des étoiles entourées de planètes qui ont été détectés sont particulièrement riches en éléments lourds. Cela peut avoir été causé par "l'ingestion" de planètes, mais notre soleil ne montre pas un tel enrichissement, bien qu'il soit accompagné de planètes habitées. Il pourrait donc bien faire partie de la première génération stellaire ayant permis l'apparition de la vie.

Toutefois, des résultats récents rapportent la détection dans des galaxies particulières, les LCG (galaxies lumineuses compactes) d'une teneur élevée en éléments lourds. Il en est de même pour certains quasars qui contienennt 3 fois plus de fer que notre systéme solaire alors qu'ils sont âgés de plus de 12 milliards d'années. Les LCG sont à une dizaine de milliards d'années lumière de nous, ce qui nous indique que les conditions de formation et de développement de la vie ont pû être plus précoces dans d'autres galaxies que dans notre voie lactée.

Nous allons voir en effet que le processus qui conduit à la vie démarre bien avant que les planètes ne soient complètement formées...

Un élément de réponse au "paradoxe de Fermi"

Je défends dans cet ouvrage l'idée que les conditions d'apparition de la vie sur Terre impliquent l'existence d'autres formes de vie dans la galaxie. Le grand physicien E. Fermi s'était exclamé: "s'il y a des extraterrestres intelligents, où sont ils?". Il exprimait ainsi l'idée que des êtres bien plus avancés que nous auraient déjà dû entrer en contact avec nous. Je reviendrai sur ce problème à la fin de l'ouvrage, mais nous pouvons d'ores et déjà remarquer que les "étoiles surs" formées ensemble dans un même amas se dispersent à cause de leur vitesse propre, mais restent tout de même longuement confinées dans une même région galactique. La teneur en éléments lourds étant similaire dans ces régions de la voie lactée, l'apparition des êtres vivants est synchronisée dans un volume correspondant au minimum à celui de l'amas stellaire de départ. Si l'on tient compte également des autres conditions "locales" à l'échelle galactique (ondes de choc en provenance de supernovae proches, vagues de formation stellaire, enrichissement du milieu interstellaire....), nous voyons que pour une large région de la galaxie les conditions "stellaires" liées à l'apparition de la vie sont grosso modo synchronisées.

Dans ce volume galactique, les êtres vivants évoluent à des rythmes différents, mais qui peut être comparable sur de longues périodes: il en résulte que des éventuelles intelligences extra-terrestres en sont à peu près au même niveau que nous, ce qui explique en partie pourquoi nous ne les avons apparemment jamais rencontrés.

Le coin du spécialiste

La matière interstellaire est très rare au centre de la galaxie. L'hydrogène ionisé se concentre dans une zone située à 1200 A.L. du centre, alors que l'hydrogène moléculaire forme une couche plane dans la plus grande partie du disque, s'incurvant seulement vers ses bords. La densité moyenne des nuages interstellaires est de 10 atomes par cm3, formant des ensembles de 15 A.L. de diamètre environ, contenant 50 masses solaires (MS). Certains complexes comme le nuage d'Orion peuvent dépasser les 100000 MS. A partir de ces nuages se forment les étoiles de population I, qui comprennent 2 à 3 % d'éléments lourds alors que les étoiles de population II n'en contiennent parfois même pas 0,1 %.

Lorsqu'une étoile de masse supérieure à 1,5 MS se forme, le carbone qu'elle produit lui permet de fusionner l'H en He selon le cycle du carbone, utilisant ce dernier comme catalyseur. Le fonctionnement du coeur de l'étoile est alors différent. Quand la température centrale atteint 100 millions de Kelvin, la réaction 3a fusionne 3 noyaux d'He en C. A des températures supérieures, les noyaux lourds fusionnent entre eux ou capturent des particules a jusqu'à 2 milliards de degrés où les éléments nouveaux formés sont aussitôt désintégrés, et où un équilibre nucléaire se produit.


Nous sommes tous des extra-terrestres :
l'origine galactique des molécules du vivant. 

Des atomes aux molécules organiques

Le soleil se forme dans une région riche en molécules complexes

Nous sommes dans la région de la galaxie va naître le soleil, il y a 5 milliards d'années. Le système solaire ressemble alors à une espèce d'oeuf au plat: un protosoleil central, sans doute de forme spirale, et un disque d'accrétion, fragmenté en anneaux, qui tournent autour de lui. Cette disposition est assez fréquente, et nombreuses sont les étoiles qui sont entourées de planètes ou de disques d'accrétions (b pictoris, 68 Ophiuchi, BD 31643). Il est probable que notre étoile émettait alors deux jets de matière au niveau de ses pôles. Elle constituait alors une source de rayons X, résultant de son activité magnétique, d'ondes de choc balayant le système solaire en formation et de particules variées constituant un vent solaire intense. Les molécules présentes alors dans le nuage présolaire sont plus complexes que l'on pourrait le croire. Lorsque le soleil et les étoiles de sa génération se forment, elles utilisent un gaz qui ne contient pas que des atomes isolés mais également des molécules dont certaines sont très complexes! Ainsi, au gré des chocs, le carbone se combine avec les autres atomes disponibles (surtout de l'hydrogène).

Parmi les molécules présentes, on trouve du méthane (CH4), de l'eau et de l'ammoniac (NH3). Ces éléments réagissent entre eux, en fonction de la température, selon les équations:

2 NH3 <------> N2 + 3H2

CH4 + H2O <------> CO + 3H2

Ces réactions se produisent vers la droite à faible température (loin du soleil) et dans l'autre sens dans les régions plus chaudes.

La présence de poussières fournit aussi un substrat sur lequel se produisent des réactions chimiques qui utilisent l'énergie du rayonnement stellaire. Ces poussières (de 0,1 mm, ou plus petites encore), en rapprochant les atomes et les molécules avant leur interaction, jouent le même rôle que les catalyseurs minéraux (mousse de platine par exemple) utilisés en chimie, et que vous retrouvez dans la ligne d'échappement de votre auto. Les molécules formées résultent principalement de combinaison avec de l'hydrogène.

La poussière interstellaire est un catalyseur pour de nombreuses réactions chimiques

Les poussières forment des structures floconneuses comportant de la glace, des silicates et des molécules à base de carbone (hydrocarbures principalement). Ces particules vont s'agréger pour former deux types de corps solides: les planètes telluriques près du soleil et, plus loin, les noyaux des futures comètes.

Entre les deux, les éléments légers chassés par la pression de radiation du jeune soleil vont se condenser sur des "noyaux" telluriques pour former les planètes joviennes, nanties de nombreux satellites aux dimensions respectables.

Aspect de la matière interstellaire:

il faut imaginer une vingtaine de ces grains collés ensembles pour avoir une idée de la granulosité du matériau.

 

Le milieu interstellaire est une source de molécules complexes.

Quelles sont les molécules qui peuvent être synthétisées dans les conditions "interstellaires" et que nous retrouverons au début de la formation non seulement du système solaire, mais aussi de toutes les étoiles (plusieurs milliards!) de sa génération ?

L'observation des nuages interstellaires actuels nous permet d'apporter des réponses valables à ces questions. Il existe deux types principaux de nuages moléculaires dans les bras spiraux de la voie lactée:

- Des nuages d'hydrogène sous forme moléculaire H2, de température 10 à 20 K (-263 à -253 °C). Ils ne contiennent pas d'étoiles (donc pas de source d'énergie), et pas ou peu d'éléments lourds. Ils ne peuvent donc donner lieu à des synthèses de matériaux organiques.

- Des nuages moléculaires géants, contenant H2 et CO ainsi que de nombreuses autres molécules et poussières. Ils ont une taille voisine de 200 A.L., une densité de l'ordre de 100 millions de molécules/ml et sont associés à des étoiles jeunes dont le rayonnement, source d'énergie, aboutit à la formation d'hydrogène ionisé. Ces nuages (appelés régions HII) sont surtout observés vers le centre galactique et dans les bras spiraux, et le plus connu est la nébuleuse d'Orion M42. Ce sont parmi eux que naissent actuellement les étoiles, et c'est donc dans un environnement comparable que s'est formé notre étoile, le Soleil.

L'étude des constituants des nuages interstellaires a démarré au début du siècle dernier, avec les travaux de J. Hartmann. On peut identifier les molécules présentes dans ces nuages par leur spectre, c'est-à-dire la façon dont leurs constituants absorbent ou ré-émettent la lumière des étoiles qui les éclairent. Chaque atome d'un élément absorbe et ré-émet la lumière de façon caractéristique. Ainsi, les molécules contenant ces atomes ont vis-à-vis de la lumière un comportement caractéristique qui dépend majoritairement de leur composition chimique, mais dans laquelle leur forme et leur orientation peuvent aussi jouer un rôle.

On peut également étudier au laboratoire le milieu interstellaire en le reconstituant et en analysant les molécules que l'on arrive à y recréer. Cette approche plus expérimentale est menée, par exemple, par l'équipe de Mayo Greenderg à l'université de Leyde, au Pays-Bas.

molécules interstellaires

L'observation des grands nuages moléculaires qui parsèment le disque de notre galaxie (et des autres!) a permis aux astronomes d'aller de surprise en surprise. Bien qu'à l'époque de la formation du soleil la teneur en éléments lourds devait être un peu moins élevée, la composition de ces nuages nous donne une indication sur les apports de molécules extraterrestres qui ont pu être réalisées au début de l'histoire de notre planète. Il y a une trentaine d'années, beaucoup pensaient que les nuages interstellaires ne contenaient qu'une dizaine au plus de molécules très simples, limitées à 2 ou 3 atomes. Des études plus poussées ont bouleversé ces conceptions: on a dénombré actuellement plus de 120 molécules différentes, dont surtout de l'eau, du méthane, de l'ammoniac, du monoxyde de carbone, des radicaux libres (OH, H3+) intervenant dans les synthèses des autres molécules, mais également des molécules beaucoup plus complexes, dont seul l'astrophysicien Fred Hoyle avait pressenti l'existence à la fin des années 70.

Marginalisé dans la communauté astronomique à cause de ses idées sur l'origine de l'univers (il s'opposait, quasiment seul, au modèle du big bang aujourd'hui accepté partout), les déductions de ce dernier ne rencontrèrent, au mieux, qu'un intérêt poli. Actuellement, il ne se passe pas un mois sans que l'on n'annonce la détection de molécules de plus en plus complexes dans le milieu interstellaire, des molécules que jusqu'à présent on avait cru limitées à la Terre...

Ainsi, des hydrocarbures (HC3N, CH3CN, CH3CHO...), des alcools (méthanol, éthanol) et des dérivés du cyanure se forment facilement: les glaces qui recouvrent les silicates, composées d'eau, de méthanol et d'hydrocarbures, jouent le rôle de piège moléculaire qui empêche la dispersion des molécules qui peuvent se recombiner sous l'action du rayonnement U.V. stellaire. Un nuage de gaz situé près du centre galactique a même révélé contenir du glycolaldéhyde (C2H4O2), aussi retrouvé dans des météorites, qui peut en se combinant conduire à du glucose ou du ribose. En laboratoire, on a pu obtenir des molécules cycliques de quinone, qui sont à la base des pigments végétaux, et qui ont été identifiées par la suite dans des nuages moléculaires. L'isoprène CH2=C(CH3)-CH=CH2 est une molécule qui se forme aisément dans le milieu interstellaire. En se polymérisant, elle donne naissance aux terpènes qui constituent la base des structures moléculaires constituant les premières membranes capables d'isoler les organismes de leur milieu.

Comme les atomes de carbone s'associent facilement pour former des cycles hexagonaux, il peut aussi former des molécules de forme complexe, que l'on regroupe sous le terme de fullerènes: ce sont des assemblages de cycles hexagonaux de carbone qui se replient dans l'espace pour former des sphères (les "buckyballs"), des tubes ou des volumes de forme plus irrégulière. Ces molécules, que l'on retrouve sur Terre dans les gaz d'échappement des moteurs Diesel, présentent des caractéristiques physique remarquables qui leur donnent un grand intérêt dans l'élaboration des structures vivantes: elles peuvent constituer des "prisons" retenant des monomères ou des molécules plus simples ou s'associer entre elles pour former des flocons agissant comme des catalyseurs et accélérant les réactions chimiques mettant en jeu d'autres molécules.

Le processus de formation des molécules interstellaires peut parfois nécessiter plus de 1500 étapes intermédiaires, mais met souvent en jeu l'ion H3+ qui se combine avec les autres éléments présents dans le milieu interstellaire. Le froid intense qui y règne et les rayonnements stellaires permettent à la glace d'adopter une conformation, dite amorphe, dans laquelle elle possède les propriétés d'un liquide très visqueux permettant des réactions chimiques variées. Des synthèses peuvent donc se réaliser sur et à l'intérieur des grains de matière interstellaire et aboutir à la formation d'acides aminés: outre la glycine, la sérine et l'alanine détectées dans des nuages moléculaires, 17 acides aminés ont été identifiés dans des météorites contemporaines de l'époque de formation du système solaire, ainsi que des quinones et des molécules amphiphiles comparables à celles constituant les membranes des cellules. Il est probable que les rayonnements auxquels ont été soumis les acides aminés interstellaires soit à l'origine du déséquilibre actuel entre les différents énantiomères de ceux-ci dans les êtres vivants. Comme nous le verrons, ce déséquilibre est un "fossile" nous indiquant l'origine extraterrestre de ces molécules.

Quelques molécules présentes dans le milieu interstellaire.

Les acides aminés ont été identifiés dans des météorites. Certaines de ces molécules ne sont pas stables dans les conditions terrestres, d'autres sont communes chez les êtres vivants (encadrées). D'autres encore peuvent servir d'intermédiaires pour la synthèse de nouvelles molécules.

Le coin du spécialiste
On peut s'étonner que dans des zones à basse température (espace interplanétaire et interstellaire), des réactions chimiques puissent se produire facilement. En fait, dans ces conditions, la cinétique des réactions n'obéit plus à la loi d'Arrhénius: la basse température ralentit l'agitation moléculaire et atomique, ce qui permet aux forces électrostatiques, importantes puisque les molécules interstellaires sont souvent chargées (radicaux libres) d'agir pour rapprocher les éléments devant réagir. Les études expérimentales de la formation de molécules dans le milieu interstellaire montrent qu'à partir des molécules présente à l'état gazeux entre les particules solides il se forme des couches successives de matériaux contenant de nombreuses molécules carbonées: il y a incorporation du carbone dans une matrice contenant de l'eau sous la forme de glace amorphe de haute densité. L'énergie nécessaire aux réactions est fournie par les photons U.V., et celles-ci peuvent déclencher un réchauffement du grain de poussière de plusieurs dizaines de Kelvin. Ce réchauffement va modifier la répartition des liaisons hydrogène dans la glace amorphe, dont la densité diminue, favorisant le déplacement des molécules dissoutes et leurs interactions. Si le réchauffement est trop important, il peut conduire à une vaporisation partielle des matériaux organiques du grain à la suite d'une réaction en chaîne mettant en jeu les radicaux libres piégés dans la matrice.

Les molécules des systèmes solaires primitifs

Les silicates composant les grains de poussière interstellaire contiennent une proportion importante de sulfures métalliques, d'oxydes et d'argiles. De par leur structure floconneuse, ces composés offrent une énorme surface par rapport à leur volume, sur laquelle des synthèses peuvent se développer. Ces composés ont une grande importance pour la suite des événements. Raisonnons à présent sur l'exemple que nous connaissons le mieux, celui de notre système solaire.

Il y a 5 milliards d'années, alors que se forment planètes, comètes et astéroïdes, la nébuleuse protosolaire contient donc déjà de nombreuses molécules organiques: eau, alcools, acides aminés... ainsi que des catalyseurs potentiels. Température, densité et pression diminuent au fur et à mesure que l'on s'éloigne du Soleil. Pour l'essentiel, les planètes se sont formées et sont en train de se refroidir. Les planètes telluriques, chauffées sous le triple effet de leur contraction gravitationnelle, de la désintégration de leurs éléments radioactifs et des impacts de météores, voient leurs éléments les plus lourds se rassembler pour former un noyau, surmonté d'un manteau fluide et d'une croûte en cour de solidification, entouré d'une atmosphère principalement composée de dioxyde de carbone et d'un peu d'azote, atmosphère sans doute très épaisse. L'origine de cette enveloppe gazeuse est double:

- les micrométéorites, souvent d'origine cométaire, ont bombardé intensivement la croûte basaltique fluide de la planète. Ils y ont apporté des éléments volatils. Ces gaz piégés dans les roches profondes, sous pression, se dégagent lors des épanchements volcaniques. Ce processus est observable encore aujourd'hui, et conduit à une dégagement massif de dioxyde de carbone et de vapeur d'eau.

- les impacts de météores mais surtout de noyaux cométaires vaporisent sur la surface de la planète de grandes quantités d'eau ainsi que d'autres éléments comme l'azote, par exemple. Ce dernier, finement analysé dans les échantillons prélevés sur la Lune, a révélé provenir, sous forme "organique" (liée à du carbone) ou de nitrures, des régions les plus externes du jeune système solaire.

A l'époque de l'émergence du vivant sur Terre, l'atmosphère était très différente de la nôtre. Les êtres vivants ont grandement contribué à sa modification, fixant et consommant le CO2 et produisant de l'O2. Dans le même temps, la pression atmosphérique a considérablement diminué.


Mondes en collision

La formation de planètes n'a rien en effet d'un calme processus de condensation: les jeunes planètes subissent un bombardement intense dont, dans notre environnement proche, la surface lunaire grêlée de cratères et de champs de lave porte la trace. Notre satellite tout entier provient lui aussi d'un impact: il y a 4,5 milliards d'année, un corps énorme, de la taille de Mars, a percuté tangentiellement la Terre de façon si violente qu'une grande partie de l'enveloppe externe de notre planète a été arrachée et satellisée, donnant naissance à la Lune. A cette occasion, notre planète perdit sa première atmosphère et ses océans éventuel, se retrouvant couverte d'un océan de magma sur un millier de km de profondeur.

Seule subsiste aujourd'hui des anciennes enveloppes de notres planète l'eau liée aux roches du manteau terrestre. D'autres impacts aussi spectaculaires sont probablement impliqués dans le ralentissement de la rotation de la planète Vénus ou la modification de l'atmosphère martienne. Jusqu'à 3,9 milliards d'années, les collisions étaient extrêmement fréquentes dans le système solaire, prenant parfois l'aspect de cataclysmes indescriptibles: entre 4 et 3,85 milliards d'année, la Terre a subi 20 fois plus d'impacts que la Lune. Malgré l'atmosphère, 10 à 20 de ces impacts ont dû creuser des bassins de plus de 2000 km de diamètre et ont dégagé assez d'énergie pour vaporiser toute l'eau de la planète! Par la suite, alors que l'activité volcanique libérait de nombreux gaz, dont de la vapeur d'eau, les comètes enrichissaient également la Terre en eau alors que les astéroïdes et surtout les micro-météorites se chargeaient d'amener des composés carbonés et de l'eau. Il en était de même pour toutes les planètes telluriques (exceptée Mercure, trop près du Soleil). Cette période de bombardements s'est poursuivie pendant plus de 300 millions d'années durant lesquelles les seules micro-météorites ont apporté à notre planète plus de 100000 milliards de tonnes de carbone, ce qui représente plus de 100 fois la quantité de cet élément actuellement utilisée dans la biomasse terrestre.

La durée des périodes géologiques doit cependant nous conduire à nuancer nos propos: il ne faudrait pas croire que le terme "bombardement" implique des chocs majeurs avec des gros météores une fois par jour, loin de là! Les travaux de T.S. Culler, de l'université de Californie, basés sur l'analyse des matériaux lunaires ramenés par les missions Apollo, ont montré que nous nous trouvons en ce moment même dans une période de forts impacts météoritiques; d'une intensité comparable voire supérieure à celle qui a frappé notre planète à l'aube de la vie... L'histoire humaine est trop brève pour que nous nous en rendions compte, mais ces impacts ont pu, nous le verrons, jouer un rôle important dans l'histoire de la vie. Quant à son apparition, nous devons en conclure qu'elle ne s'est pas accomplie dans un milieu disposant de millions d'années de tranquillité, bien au contraire! On peut même considérer que les premières formes de vies ont du affronter, jusqu'à il y a 3 milliards d'années, des impacts de météores de 30 km de diamètre environ, apportant assez d'énergie pour vaporiser 200 m d'eau sur l'étendue des océans...

Nous allons nous trouver alors confrontés à un problème: "l'incessant bombardement" qu'a subi la Terre semble coïncider avec le développement de la vie: loin de bénéficier de calmes océans, il semble bien que la vie ait commencé dans des conditions chaotiques, sous une véritable douche carbonée en provenance du milieu interstellaire, troublée périodiquement par des impacts capables de volatiliser toute l'eau des océans de la planète! Ce problème est souvent pudiquement évacué par des biochimistes déterminés qui n'ont, hélas, aucune connaissance en planétologie...

 

Où l'on découvre avec surprise une vie trop vieille sur une planète trop jeune.

Notre prise en compte des réalités astronomiques commence à porter ses fruits: pendant des années, les biochimistes ne se sont pas souciés du voisinage cosmique de la Terre primitive: ils supposaient que, mise à part la composition de l'atmosphère, les autres facteurs du milieu étaient similaires à ceux que nous connaissons. Ils ont donc légitimement élaboré différentes théories de l'origine de la vie dont la plupart nécessitent de calmes océans (ou des flaques d'eau tiède) où les molécules pré-biotiques s'assemblent tranquillement au fil des millions d'années... Il faut dire que les fossiles retrouvés nous donnaient pour la vie une origine ne remontant pas à plus de 3 milliards d'années. Cette vision s'est considérablement modifiée ces dernières années, où la découverte de fossiles microscopiques a tout d'abord repoussé l'existence des premières formes de vie directement détectables à 3,5 milliards d'années, puis en 1996 où l'étude des sédiments de l'île d'Akilia, au Groenland, a montré que la vie était déjà développée il y a... 3,85 milliards d'années!

Quels sont les témoignages d'une vie à cette époque? Ils sont intéressants, car basés sur une technique que nous retrouverons à plusieurs reprises, et qui porte le nom barbare de fractionnement isotopique. De quoi s'agit-il? Pour un même atome, il existe des "variantes" différentes, que l'on appelle des isotopes. Ils sont différenciés par le nombre de neutrons contenus dans le noyau des atomes, qui n'a pas d'influence sur leurs propriétés chimiques, mais sur leur masse: plus un atome contient de neutrons, et plus il est lourd. L'isotope le plus célèbre est dans doute le carbone 14 (14C ) qui est utilisé pour dater les objets préhistoriques. L'essentiel du carbone est sous la forme 12C, mais il existe également, du fait de l'origine stellaire de cet élément, du 13C dans notre environnement. Là où les choses deviennent intéressantes, c'est que les êtres vivants n'utilisent pas indifféremment les deux isotopes du carbone: leur métabolisme utilise plus facilement le 12C léger que le 13C lourd: la matière vivante est donc ainsi enrichie en 12C, et cet enrichissement perdure bien après la mort des organismes, dans les sédiments qui les renferment: c'est le plus vieux "fossile" chimique connu signalant la vie, car on ne connaît pas de procédé ne faisant pas appel à des êtres vivants et provoquant un tel enrichissement isotopique. Le rapport 12C/13C peut même nous fournir des indications sur le type de métabolisme qui était utilisé par les êtres vivants, car il diffère selon qu'ils utilisaient l'énergie de la lumière (photosynthèse) ou celle de composés minéraux (comme le méthane par exemple).

La vie se serait donc développée dans un environnement chaotique, sur une Terre régulièrement frappée d'impacts de météores et de comètes, soumise à un rayonnement solaire différent de celui que nous connaissons.

En effet, à la jeunesse de la Terre correspond celle de notre Soleil. Pendant l'époque de la solidification de la Terre, notre étoile avait l'aspect d'une masse de gaz en contraction d'un rayon 30 fois plus important qu'actuellement, d'une température de surface de 3500° C et, même si les réactions nucléaires n'avait pas encore débuté dans son coeur, il était 150 fois plus lumineux qu'actuellement! Lorsque la vie a commencé à laisser des traces sur Terre, juste après la période des bombardements les plus violents, notre étoile avait commencé à fusionner l'hydrogène et sa luminosité avait fortement diminué, au point d'être sensiblement inférieure (-15 %) à celle qui est aujourd'hui la sienne. Notre planète recevait donc moins d'énergie solaire par le passé.

Les rayonnements émis par les étoiles comme le Soleil et absorbés par la poussière interstellaire sont d'une grande importance car ils peuvent modifier la géométrie de certaines molécules qui participeront à l'élaboration des premières formes de vie.

Des résultats récents obtenus par l'observation et l'analyse de zircon (ce minéral, quasiment indestructible, est utilisé en joaillerie pour imiter le diamant) ont même montré qu'il existait déjà de l'eau liquide, et une différenciation continent / océans il y a 4,3 à 4,4 milliards d'années, soit à peine 200 millions d'années après la formation de la planète, en pleine période de bombardements exogènes...

Un autre problème survient lorsque l'on examine les plus vieux fossiles "directs": les plus anciennes formes de vie observables sont des cyanobactéries, des micro-organismes déjà très évolués, et même... trop évolués! En effet, l'analyse génétique montre que ces organismes n'auraient pas eu le temps de se développer dans le peu de temps qui les sépare de la formation de la planète! Sauf à supposer l'existence d'un taux de mutation très élevé accélérant fortement la vitesse de l'évolution (ce qui reste possible), on est donc encore une fois en présence d'une contradiction flagrante entre des formes de vie évoluées retrouvées sur une planète trop jeune pour avoir permis leur évolution!

Il ne nous reste donc plus qu'à tirer les conclusions qui s'imposent, afin d'expliquer pourquoi la vie a pu apparaître si vite et dans de telles conditions. Examinons les diverses voies du possible, voyons de quoi sont faits les êtres vivants et comparons ensuite aux différentes théories qui ont été élaborées pour expliciter l'émergence de la vie sur notre planète.

Pourquoi la vie est-elle apparue si vite ?

Il y a plusieurs façons, liées entre elles, d'expliquer la rapidité avec laquelle les premières formes de vie sont apparues sur Terre:

- La vie est beaucoup plus simple à obtenir que nous le pensons. Elle apparaît en peu de temps.

- Les pièces détachées des êtres vivants étaient déjà disponibles, et seul l'assemblage s'est fait sur Terre, de façon rapide.

- Les premiers êtres vivants sont arrivés déjà prêts sur la Terre, qu'ils se sont contentés d'ensemencer. Nous verrons qu'il est plus difficile qu'il ne paraît de rejeter cette possibilité, et qu'il en découle des conséquences fantastiques.

Avant de partir à la découverte des origines possibles de la vie, voyons quelles sont les spécificités des êtres vivants que nous connaissons, et quels indices ces derniers peuvent nous fournir sur leur origine. Nous allons voir que bien des surprises nous attendent dès ce niveau, et que les avancées de la microbiologie vont porter quelques coups supplémentaires à notre amour propre !


Suite à l'acte 2