Une chimie avant la vie

Dernière mise à jour: 21/08/2009


L'oxygène, un poison indispensable.

Nous vivons dans un monde dont l'atmosphère contient 20% de dioxygène. Cependant, ce gaz est corrosif et les êtres vivants s'en protègent par des dispositifs variés. Des enzymes comme la cathalase, la peroxydase ou la superoxyde dysmutase permettent au métabolisme de résister à l'action délétère de l'oxygène et de ses dérivés.

Pour les bactéries anaérobies qui ne disposent pas de ces protections, l'oxygène est toujours un poison mortel. Sans oxygène, pas d'ozone pour nous protéger des UV solaires qui arrivaient directement au sol, apportant l'énergie nécessaire aux synthèse chimiques à partir des éléments minéraux disponibles: H2O, le CO2 et NH3.

De nombreux indices montrent que l'oxygène était absent au début de la vie:

ainsi, les réactions énergétiques qui permettent aux êtres vivant de récupérer de l'énergie à partir des molécules de leur alimentation sont de 3 type différents:

Dans l'expérience de Miller, des décharges électriques dans des mélanges de H2,CH4,NH3 et H2O donnent des aldéhydes, des acides carboxyliques et des acides aminés. Les mêmes résultats sont obtenus avec un mélange gazeux contenant du CO, du CO2 et de l' N2 (si le milieu réactionnel ne contient pas d'oxygène).

Comment sont apparus les molécules du vivant ?

Sur la centaine d'atomes que l'on trouve dans l'univers, 24 sont nécessaires aux molécules constituants les êtres vivants. Les molécules caractéristiques des êtres vivants sont de très grandes tailles: on parle de macromolécules. Elles sont formées de l'enchainement de molécules plus petites, les monomères. En simplifiant beaucoup, on peut distinguer 2 grands groupes de macromolécules caractérisant le vivant:
Longtemps les chercheurs se sont demandés qui des enzymes ou des acides nucléiques étaient apparus en premier: ces deux familles de molécules semblaient indispensable l'une à l'autre, mais en 1986 T. Cech montre que l'ARN peut être son propre enzyme: l'ARN semble être la première macromolécule biologique apparue sur Terre. L'ARN possède de par sa structure une activité sur les protéines. De nos jours, celle ci s'exerce dans des assemblages complexes, les ribosomes, dans lesquels l'ARN catalyse la formation de liaison peptidiques entre acides aminés. D'autres ARN peuvent découper des protéines. De plus, les molécules d'ARN possèdent une certaine capacité d'évolution en réponse à leur environnement: l'ARN peut devenir résistant à la ribonucléase qui, normalement, le clive.
L'étape qui sépare la synthèse prébiotique des Acides Aminés (AA) et des Acides Nucléiques (AN) des premières bactéries s'étale sur 500 millions d'années. Après la formation de la planète, plusieurs étapes ont du se succéder:
1- synthèse des monoméres biologiques (sucres, AA et AN)
Pour obtenir les molécules indispensables au êtres vivants, il faut pouvoir trouver une voie de synthèse minérale des AA, des sucres, des phosphates, des bases organiques (pour les AN), des lipides (pour les membranes) et quelques autres molécules comme les flavines.
Dans l'expérience de Miller, on obtient des acides aminés tels que la Leucine, l'isoleucine, la Thréonine, l'Asparagine, la lysine, la phenylalanine et la tyrosine mais aussi des acides aminés et des isomères inconnus dans les être vivants: la sarcosine et la b alanine par exemple. De plus, les 20 AA utilisés par les êtres vivant ont tous la même symétrie spatiale, dite L (sauf certaines paroi bactériennes et quelques molécules de défense). Or, les synthèses prébiotiques conduisent autant aux formes L qu'aux formes D. Pourquoi donc seuls les AA de symétrie L sont ils utilisés par les êtres vivants ? Il est possible que le hasard soit à l'origine de cette sélection, bien que de nombreuses propositions ont été avancées, faisant appel, entre autre aux forces de Coriolis résultant de la rotation terrestre (qui à l'époque était un peu plus rapide que de nos jours, la lune ayant depuis freinée la rotation terrestre).
On peut également se demander pourquoi seulement 20 AA entrent dans le code génétique alors que davantage d'AA différents étaient disponibles ? Il est probable qu'à l'origine, le code génétique comportait moins de 20 AA, beaucoup d'entre eux dérivant des autres. Au fil de l'évolutiion, de nouveaux acides aminés ont été intégrés dans les protéines, mais les organismes primitifs ne comportaient peut être qu'une quinzaine d'AA différents, voire moins. Il y eu probablement, au début, des sélections aléatoires basées sur les richesses en AA des différents milieux, et pas mal d'essais disparus sans laisser de traces...
Les monomères ont commencés à se former en milieu gazeux, dans l'atmosphère. Celle ci était d'ailleurs enrichie en molécules organiques par des molécules d'origine spatiale: les gaz interstellaire et la poussière contiennent de l'eau, de l'NH3, du formaldéhyde, du méthane...
Le formaldéhyde a aussi pu se former dans l'atmosphère primitive par photochimie (Pinto & al., 1980).

Une centaine de molécules diverses sont aujourd'hui connues dans l'espace interstellaire, dont certaines comportant plusieurs dizaines à plusieurs centaines d'atomes de carbone.

Les comètes, très nombreuses après la formation du système solaire, ont également été une source de HCN, CO2, formaldéhyde, méthanol, CO, NH3 et H2S mais également d'eau pour l'atmosphère primitive.

Les premières molécules intervenant sont le HCN, le cyanogène C
2N2 ainsi que des aldéhydes.

Les AA se sont formés à partir de ces précurseurs, par la synthèse dite de Strecker. Des hydroxyacides peuvent se former de la même façon, comme l'acide glycolique, le glycocolle, l'acide lactique où l'alanine.

Les sources d'énergie disponibles ne sont pas que les UV, au demeurant pas toujours efficace pour tous les gaz (ils sont surtout absorbés par H2S et NH3). Les éclairs, la radioactivité ainsi que les ondes de choc des impacts météoritiques et cométaires ont pu apporter l'énergie nécessaire aux synthèses prébiotiques. On peut également noter que la présence d'ions Zn favorise la polymérisation des AA en peptides. Des minéraux apportant cet ion ont aidé à l'éllaboration des premiers peptides...

Les éclairs offraient l'avantage de fournir une grande quantité d'énergie à des endroits bien localisés.

Ci contre: une voie de synthèse des acides aminés se produisant dans deux milieux: dans l'atmosphère jusqu'au stade aminonitrile, puis dans les océans ou en milieu liquide ensuite.

condensation formolique aboutissant au ribose
Il faut toutefois remarquer que la synthèse de ribose "seul" est problématique. Le rendement des réactions envisagées est mauvais, et les conditions réactionelles spéciales. De plus, l'addition du ribose sur les bases est encore un mystère: le mécanisme est inconnu pour les purines, et n'a été obtenu avec des pyrimidines qu'avec des molécules de cette famille qui ne sont pas les bases des acides nucléiques actuels.

synthèse des Acides Nucléiques:

synthese adenine

La condensation de l'adénine et du ribose donne de l'adénosine, un nucléotide qui en se liant à 3 groupes phosphate donne de l'Adénosine Tri Phosphate, toujours utilisé pour transférer l'énergie dans les êtres vivants.

Pourquoi utiliser l'ATP et non pas la Guanine Tri Phosphate (GTP), la Cytosine Tri Phosphate (CTP) ou l' Uracyle Tri Phosphate (UTP)? La synthèse de l'adénine se révélant plus facile, peut être cette molécule fut elle tout simplement celle qui était le plus aisément disponible.

Ci contre: voie de synthèse prébiotique de l'adénine. Le rendement de cette réaction est cependant trés faible.

La "voie des purines"

L'examen du métabolisme commun à toutes les cellules (eucaryotes, procaryotes...) donnent quelques indices montrant que les bases puriques (A et G) ont probablement été les premiers nucléotides utilisés par le vivant (hypothèse personelle). En effet, la synthèse des purines présente nombre de caractères indiquant qu'il s'agit d'un mécanisme plus fondamental, plus basique que celui des pyrimidines. Par exemple, la fabrication de pyrimidines nécéssite l'existence préalable de molécules basées sur l'adénine, alors que le contraire n'est pas vrai.

Le tableau ci dessous met en lumière ces différences:

Molécules
Purines
pyrimidines
précurseurs de la synthèse
à partir de molécules simples: CO2, glycocolle, glutamine, Acide aspartique, acide tetrahydrofolique.
La néosynthèse est plus importante que la récupération d'origine alimentaire.
glutamine
nécessite l'intervention du NAD (donc la présence d'adénine!)
mode de synthèse
Le ribose constitue la base sur laquelle le cycle est progressivement édifié.
le cycle est synthétisé puis fixé au ribose.
cofacteurs de la synthèse
minéraux: 2 Mg 2+, K+
Organique: NAD
lieu de synthèse
Cytoplasme puis interconvertions en mitochondries Cytoplasme
"matériel" moléculaire pour la synthèse
IMP, 9 ATP (donc de l'adénine!).
10 enzymes
2 coenzymes
(toutes cellules sauf lymphocytes)
la conversion U--->C nécéssite de l'ATP, donc... de l'adénine!

Ces données plaident en faveur d'une utilisation préférentielle des purines au début du code génétique: le premier code pourrait avoir reposé sur un acide nucléique formé d'un simple brin de purines...

Synthèse des pyrimidines (cytosine et uracile)

ILa cytosine peut être obtenue dans les expériences type Miller, à partir de cyano-acetylene et de cyanate obtenus par décharge électrique dans une atmoisphère contenant un mélange de méthane et d'azote. Toutefois, Miller lui même fait remarquer que " this reaction requires relatively high concentrations of cyanate (>0.1 M), which are unlikely to occur in aqueous media as cyanate is hydrolysed rapidly to CO2 and NH3. " (cette réaction necessite des concentrations relativement élevées en cyanate (> 0,1 mol/L), qui ne peuvent être obtenues en milieu aqueux où le cyanate est rapidement hydrolysé en CO2 et NH3) - Michael P. Robertson, Stanley L. Miller. An efficient prebiotic synthesis of cytosine and uracil. Nature 375, 772-774 (29 Juin 1995) . Ces mêmes auteurs proposent alors une voie de synthèse basée sur le cyanoacetaldehyde provenant de l'hydrolyse du cyanoacetylene, réagissant avec de l'urée. 

Si cette dernière molécule est présente en abondance (en bord de lacs en cours d'évaporation, par exemple), alors le cyanoacetaldehyde conduit à la formation de cytosine avec un rendement compris entre 30 et 50%. L'uracile peut se former par hydrolyse de cette molécule.

Autre problème à résoudre:  on trouve aujourd'hui dans l'ARN une liaison bêta 1' alors que des alpha et bêta 1', 2' et 3' étaient aussi possibles et tout aussi probables. Pourquoi cette liaison à t'elle été selectionnée par l'évolution ? Il semble que des ions minéraux puissent expliquer cette sélectivité: de nos jours encore, la synthèse d'ADN et d'ARN est sous la dépendance des ions Mg et surtout Zn qui orientent le sens des synthèses. Voici encore un indice de l'implication des minéraux dans l'origine de la vie.

Nous savons que des molécules de synthèse peuvent catalyser leur reproduction, évoluer et se disputer les ressources de leur milieu. C'est le cas de l'ARNI (adénine ribose naphtalène imide) qui peut se répliquer ou s'associer avec elle même, ou de la diaminotriazine xanthène thymine (DIXT). Ces molécules comprenant des acides nucléiques peuvent d'ailleurs se lier et engendrer par recombinaison d'autres molécules douées d'autoreplication ou non. (J.Rebek - Pour La Science 203 - sept 1994).

Pour qu'une molécule soit capable de s'autorépliquer, sa forme est primordiale ainsi que la répartition des forces exercées par les différents groupements moléculaires qui la compose. Ces forces peuvent orienter et attirer les molécules de base, et la forme de la molécule permettre le rapprochement des diverses molécules afin de faciliter leur réaction: c'est le mode de fonctionnement des enzymes de nos cellules.

2 - La polymérisation des monomères

Pour enchaîner les différents monomères, il faut réaliser des réactions de polymérisation. Pour cela, il faut lier deux molécules en leur enlevant une molécule d'eau alors que dans un milieu aqueux, c'est la dépolymérisation (hydrolyse) qui est favorisée (empêchant l'allongement des polymères protéiques ou nucléiques). Pour que cela soit possible, il faut disposer de nucléotides "activés", c'est à dire comprenant un groupement phosphate. Mais comment relier ll'improbable ribose aux bases ?

Une des façons de court-circuiter ce problème est d'envisager une synthèse directe à partie d'un précurseur de la base et du ribose (
Matthew W. Powner, Béatrice Gerland, John D. Sutherland. Synthesis of activated pyrimidine ribonucleotides in prebiotically plausible conditions. Nature 459, 239-242 - 14 Mai 2009). Pour cela, un ensemble de molécules prébiotiques simples, à la présence probable (cyanamide, cyanoacetylene, glycolaldehyde et glyceraldehyde) ainsi que des phosphates minéraux réagissent, en présence d'azote et au cours de cycles de réchauffement/refroidissement (simulant une évaporation suivie de pluies, dans  pendant une semaine pour l'expérience réalisée par l'équipe pré-citée) pour former du 2-amino-oxazole (des mécanismes réactionnels conduisant à cette molécule  sont détaillés sur l'excellent site, en anglais, du Dr Henry Jakubowski, de l'Université St John).

Ce précurseur réagit avec le glycéraldéhyde pour conduire à un ensemble ribose et cytosine. Le phosphate, en présence d'UV aboutit ensuite à une synthèse de ribocytidine phosphate, certains nucléotides formant aussi de  l'acide uridylique. Outre son rôle de réactif, le phosphate, indispensable dès le début de la réaction, régule ces dernières en jouant le rôle de tampon ainsi que de catalyseur. On obtient "finalement", en quatres étapes, deux ribonucléotides phosphates: la cytidine et l'uracyle.
Les auteurs font remarquer qu'il est important de partir d'un mélange réactionnel comportant des réactifs bombreux, et de ne pas êytre tenté de "rajouter au bon moment" le réactif qui "débloque la situation", ce genre de procédé étant très peu probable dans les réelles conditions prébiotiques...

Il a donc fallu que le milieu favorise la polymérisation. Pour cela, il était nécessaire de concentrer les réactifs ou d' enlever l'eau, et de coupler la réaction à une autre qui libérerait de l'énergie. En effet, l'allongement d'un polymère nécessite de l'énergie, qui doit être fournie par couplage avec d'autres réactions chimiques par exemple, alors que l'hydrolyse libère de l'énergie, ce qui lui permet de se produire spontanément. Il a donc fallu que la polymérisation soit couplée à une autre réaction lui fournissant l'énergie dont elle a besoin.

L'indispensable mécanisme de couplage énergétique

Certains composés comme le carbodiimide (-N=C=N-) fournissent assez d'énergie pour une polymérisation. D'autres agents de couplage sont le cyanogène, le cyanamide, les cyanoacétylène et le diaminomaléodinitrile (leur énergie est stockée dans une triple liaison CC ou CN). Pourquoi les agents de couplage ne réagissaient ils pas plutôt avec l'eau qu'avec les monomères présents? La liaison entre les monomères et des ions phosphates ont pu favoriser ce couplage au détriment de l'eau. Par cette voie, on a obtenu des synthèses de polyphosphates (AN ). Les polyphosphates sont utilisés encore de nos jours par certaines bactéries qui stockent leur énergie dans des corpuscules à polyphosphates dans leur cytoplasme.

Enlever l'eau favorise également les mécanismes de polymérisation:

3 - Ségrégation dans des milieux protégés (membranes) des polymères obtenus

Les polymères tels que AN et protéines en solution ont tendance à former des gouttelettes nommées coacervats. Ces gouttelettes sont plus ou moins stables et peuvent concentrer des molécules en fonction de leur solubilité.

On peut également envisager la formation de membranes protéiques (comme pour les capsides de virus).

4 - Développement d'un mécanisme de reproduction

Ce mécanisme devrait se baser sur une polymérisation autocatalytique. Il est probable que les premières molécules autoréplicantes étaient très simples, comportant peu de monomères. Leur réplication en fonction des apports du milieu faisant augmenter le volume des membranes les contenant, celles ci finissent par éclater en en formant de plus petites.


L'environnement dans lequel la vie est apparue était très différent du notre, surtout en ce qui concerne la température et la composition de l'atmosphère. Les débats sont encore vif en ce qui concerne la température à l'époque prébiotique: alors qu'une origine chaude semblait se dégager, l'étude des molécules d'ARN des organismes actuels montrent que les séquences sélectionnées ne sont pas celles qui résistent le plus à la chaleur. Par contre, il ne fait aucun doute que l'atmosphère primitive était dépourvue d'oxygène: ce gaz est une signature de la vie végétale.

Dés son apparition, la vie détruisit les conditions de son éclosion. a partir du CO2 atmosphérique, les premiers organismes photosynthétiques ont formé du glucose en dissociant H2O avec l'énergie lumineuse, en libérant O2 comme produit de la réaction. Le milieu n'est pas un ensemble éternel dont la composition est fixé et doit à toute force être préservée: pour les premières cellules, l'oxygène était un polluant mortel! Il est logique que le milieu évolue, et que nous contrôlions cette évolution...


Références 

Lire aussi en français:
L'origine de la vie sur la Terre - L. Orgel - Pour La Science 206, décembre 1994 80-88
-
L'origine de la vie - R. Shapiro (intéressant par son approche critique et constructive) - coll. Champs; Flammarion
- Les origines cosmiques de la vie - Delsemme
(des intuitions pleinement confirmées) - coll. Champs, Flammarion 

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