14 Janvier 2005:
l’Odyssée d’Huygens.
14 Janvier 2005:
l’Odyssée d’Huygens.
L'apport décisif de la sonde Huygens
Après une séparation parfaite et une entrée nominale dans l'atmosphère de Titan, la sonde Huygens a touché le sol du satellite le 14 janvier, nous révélant un monde nouveau. La sonde à fonctionné 2 h au lieu des 30 mn espérées, mais seule une heure de données à pu être relayée par Cassini.
La descente a été plus facile que prévu, la sonde ne mesurant, à basse altitude, que des vents de quelques dizaines de km/h au lieu des tempêtes redoutées. Les résultats préliminaires indiquent une concentration en méthane croissant vers la surface, excluant donc un enrichissement récent de l'atmosphère par un corps exogène de type cométaire. La température au sol est voisine de - 180 °C.
La surface apparaît, comme je le supposais, plus fortement érodée que dans les représentations précédentes. Pas de cratères clairement visibles, mais quelques morceaux de structures circulaires partielles. Cette érosion indique bien que l'atmosphère de Titan est d'origine ancienne et ne correspond pas, comme certains en avaient fait l'hypothèse, à une structure transitoire récente.
La photo au sol ci-contre (ESA/NASA) ressemble fortement à celles de la surface vénusienne obtenues par les sondes venera. Elle montre bien des "roches" où de la glace très nettement érodée (soit grossièrement sphériques, soit plates) avec des parties sombres et d'autres claires. Selon la vitesse des vents, on devrait avoir sans doute une érosion éolienne (type Mars) se superposant à l'influence de "pluies" périodiques ou d'un courant fluide recouvrant, dans le passé ou actuellement, de temps à autre, ces roches.
La vue a été prise d'une zone sombre de Titan, une "mer". Le pénétrateur de la sonde s'est enfoncé d'une quinzaine de cm dans un sol spongieux, mais ferme.
L'atmosphère est limpide au sol, avec une ligne d'horizon bien nette montrant des terrains surélevés. Les roches visibles ont une dimension de l'ordre de la dizaine de cm.
Pendant sa descente, la sonde a acquis de précieuses images (par contre, les sons enregistrés ne donnent rien: que du bruit auquel se superpose un son régulier, provenant sans doute de la sonde elle-même , ni tonnerre, ni vent....) qui remettent en cause les modèles établis:
La présence très nette d'un réseau "hydro"graphique (méthanographique ?) confirme l'existence de précipitations en quantité appréciable et sur une longue durée. Impossible de dire si ces réseaux sont actifs, mais c'est probable.
Le sol clair est nettement entaillé, les méandres formés montrent que sa composition n'est pas homogène, avec des zones plus dures que d'autres. Ce qui apparaît sombre peut être le liquide lui-même (plus noir que celui de la "mer") ou bien les terrains profonds dégagés par l'érosion.
Peut-être que le liquide collecté sur les "hauts plateaux " réagit chimiquement avec le sol, petit à petit, afin de former un composé pulvérulent plus sombre, ce qui expliquerait qu'il n'y ait pas de "mer" mais des espèces de marécages sableux.
Il est aussi possible que le liquide surgisse du sol lui même (comme des "aquifères" qui ont laissé des traces sur Mars) et s'évapore petit à petit en enrichissant l'atmosphère en hydrocarbures. Cela supposerait un intérieur du satellite un peu plus chaud, et de façon pérenne (sinon pas d'écoulements réguliers, et pas d'érosion)...
Noter la structure rectiligne sur la gauche: faille, vallée, "glacier" d'hydrocarbure ?
Le strip de descente (suite de vues prises pendant la chute de la sonde) permet de remarquer des structures rectilignes, pouvant correspondre à des failles dans le sol. Cela montrerait que la surface est géologiquement active. Certaines structures ressemblent à des éboulements. La zone d'assolissage (ci-dessous, ESA/NASA - vue de 10000 m d'altitude) montre que coexistent des hauts plateaux (faiblement élevés: 100 m seulement!) clairs, entaillés de vallées (à gauche), et des terrains clairs à forme grossièrement circulaire (à droite), correspondant sans doute à d'anciens cratères d'impact érodés.
Ces terrains sont séparés par une zone sombre, une dépression ressemblant à une étendue liquide, mais qui doit en fait être une plaine recouverte d'un matériau inconnu, mélange de glace d'eau, de poussière et d'hydrocarbures.
Une des images (ESA/NASA) les plus intéressantes a été prise à quelques km d'altitude: outre quelques nuages bas, blancs, il apparaît nettement un réseau fluviatile très développé communiquant avec la dépression sombre où Huygens s'est posée.
De nombreuses vallées entaillent les zones claires, montrant soit des précipitations abondantes soit des résurgences profondes massives.
On peut remarquer que les vallées principales sont plutôt rectilignes alors que leurs affluents décrivent de nombreux méandres. Ces terrains étant très peu cratérisés, on doit en conclure qu'ils sont relativement "jeunes" et que des phénomènes érosifs variés existent et sont à l'oeuvre sur Titan.
D'après Lunine & al (2005), les cratères détectés indiquent que la surface de Titan est âgée de moins d'un milliard d'années.
Les terrains sur lesquels Huygens s'est posé ont dégagé une quantité importante de méthane. Cette production est peut-être due à un réchauffement local (par la sonde elle-même) où à une évaporation résultant d'une pluie récente de méthane. Certains blocs "rocheux" ayant disparu entre plusieurs clichés, il apparaît qu'ils sont probablement bien constitués majoritairement de glace d'eau (dure comme le roc à - 180 °C!) et ont fondu sous la chaleur dégagée par le projecteur de la sonde (mais avec 20 W seulement, cela tendrait à prouver que leur structure est très instable, volatile...).
Il semble aussi que les écoulements de méthane/éthane se produisent peut-être juste sous la surface, l'ensemble réagissant peut être comme des coulées de boues sur notre planète.
Déçus par les images de l'ESA, certains amateurs d'imagerie planétaire ont retraités les données de Huygens et ont obtenu des vues de meilleure qualité. Leur travail est recensé ici. Il apparaît alors de nombreux petits cratères parsemant les "mers", dont la présence devra être confirmée par les équipes de l'ESA. A noter le travail remarquable de Renè Pascal, visible sur son site.
Une vue "exclusive"!
À la suite d'une erreur humaine, certaines vues de Titan ont été perdues. Malgré tout, les clichés envoyés n'ont pas encore été tous utilisés, où mis en valeur, par l'ESA. Il en est ainsi pour une série de vues prises juste avant l'assolissage et qui montre l'horizon à une faible altitude.
L'image originale (en haut à droite) est bruité et de faible dimension. Elle correspond aux triplets 718 à 721 de l'ESA.
Je l'ai étudiée et analysée afin d'en réaliser la schématisation ci-contre. Elle permet de mettre en évidence:
- la faible altitude des reliefs: les collines à l'horizon sont peu élevées
- l'existence de canyons, de chenaux à travers lesquels un fluide s'épanche sur les basses terres
- la variété des terrains explorés, les plus sombres, riches en composés carbonés, étant visiblement les plus fluides.
- la présence de nombreuses "coulures" laissant penser que les terrains du premier plan sont, ou ont été, fluides. Ainsi, la "coulée" blanche semble avoir été secondairement recouverte de matériaux plus foncés.
-la présence, sur le cliché original, de zones très bruitées pourrait signaler des zones de dégagement gazeux... ou, plus probablement, des problèmes de transmission...
Les enregistrements de Huygens montrent une libération de méthane faisant suite au contact avec le sol (ci dessous, document ESA).
L'analyse spectrale de la surface (ci-dessous) montre la présence d'azote, de méthane et un dégagement d'Argon. Des hydrocarbures ont aussi été identifiés mais la présence de benzène (C6H6) ne serait, d'après plusieurs spécialistes, qu'une contamination d'origine terrestre. (crédit ESA/NASA/ASI/PPARC/SSP team)
Remarque: l'attitude discutable de l'ESA
La plupart de mes illustrations sont fournies par la NASA et le JPL. L'ESA est aussi partenaire de Huygens, mais contrairement à la NASA, l'ESA considère qu'elle possède des droits d'auteurs sur les vues réalisées par la sonde ou reconstruites dans ses laboratoires. C'est clairement indiqué, entre autres, dans un CD-ROM fourni avec un n° de la revue "Ciel et Espace". Il ne m'est donc pas possible de publier des vues de l'ESA.
Il est scandaleux que certains fonctionnaires de cette agence oublient qui sont ceux qui payent, via leurs impôts, et leurs salaires et les missions spatiales. L'information, les vues et les photos obtenues, avec mentions des équipes qui les ont réalisées, doivent être libres et gratuites. Faute de quoi l'ESA, qui a déjà "raté" la descente de Huygens (en s'offusquant des réalisations d'amateurs talentueux et bénévoles alors que leurs ingés maison refusaient de publier sur le net en temps réel...) restera ce qu'elle est: une agence de seconde zone, paralysée par une bureaucratie envahissante et d'une inefficacité pathétique.
P.-S. Ce problème de communication ne date pas d'aujourd'hui: déjà, l'ESA avait été brocardé dans "New scientist" pour son incapacité à fournir simplement et rapidement des images de ses missions martiennes... (More bang for our bucks - New scientist 2477, 11/12/2004, 19)
Sur cette vue rapprochée, les 5 premières "roches" sont à moins de 90 cm de la sonde et sont de la taille d'une pomme de terre.
Toutes vues: ESA/NASA/université de l'Arizona
Mike Zawistowski a construit cette représentation basée sur les vues de Huygens à l'aide du logiciel Terragen, utilisé aussi par Kees Veenenbos pour ses représentations de Mars sous les eaux, il y a 3 milliards d'années...
Lien vers un film en français (rare!) décrivant les différentes étapes de la mission Huygens
La vue ci-dessus montre clairement le flanc E d'un cratère d'impact. Il est possible que celui-ci soit entouré d'une double arène, l'extérieure étant moins nette, et marquée de nombreux terrains clairs. Une de ces structures claires (glace? - centre de la photo) montre un bord particulièrement rectiligne, comme si elle avait été brisée selon une ligne de faille. De telles structures géométriques ne semblent pas rares sur les glaces de Titan. Le cercle signale la zone d'assolissage de Huygens. ESA/NASA/université de l'Arizona
Sur la vue ci-dessus, outre une vallée sombre et ses affluents, on distingue ce qui ressemble à un glacier (ellipse bleue) et une structure pentagonale (simple jeu de failles? Cristallisation géante ?) à l'embouchure de notre "fleuve" de boue méthanogène...
ESA/NASA/université de l'Arizona
Difficile de dire si la démarcation entre zones claires et sombre correspond bien à un rivage: ou bien c'est un liquide très peu profond (nombreux éléments affleurants) ou bien ce sont des espèces de plaines. Il semble bien que Huygens s'est posée justement au bord d'une de ces zones "sombre"... (voir ci dessous)
ESA/NASA/université de l'Arizona
Teneur en méthane selon l'altitude, enregistré pat Huygens lors de sa descente. D'après un doc ESA/NASA