La vie sur (ou dans) Titan ?

 

    Est-il possible de poser sérieusement la question de l'existence d'une vie sur Titan ? Bien que notre ignorance concernant la surface (et l'intérieur!) du satellite puisse laisser la porte ouverte à toutes les élucubrations, il n'est pas interdit de réfléchir à ce que pourrait être une vie possible sur (ou plutôt, nous l'allons voir, dans) Titan.


    Il semble que la surface de Titan, malgré sa probable collection de molécules organiques, ne soit pas favorable à la vie. Pourtant, même en négligeant la possibilité que des formes de vie radicalement différentes de la nôtre (qui ne seraient donc pas, par exemple, basées sur l'eau liquide, mais sur le méthane) s'y soient développées, il reste une possibilité pour qu'une activité bactérienne subsiste sur ce Satellite.


Ci-contre: avis de Frank Drake dans une discussion sur la rareté des vies intelligentes dans l'univers organisé par astrobiology magazine - : "Mais Titan ! Super! Une prodigieuse usine de chimie organique, toute sorte de solvants, certains même dans l'atmosphère. C'est encore mieux que la Terre primitive. Bien sur, c'est extrêmement froid, mais les réactions chimiques se produisent facilement, même si elles sont très lentes aux températures Titaniennes. "


En surface, même les plus simples réactions prébiotiques ont des demi-vies de l'ordre de 10 millions d'années, et l'eau liquide ne serait que rarement disponible pour participer à des réactions chimiques (A. D. Fortes, Exobiological Implications of a Possible Ammonia-Water Ocean Inside Titan, 2000).


On peut fort bien imaginer, nous l'avons vu, que dans son histoire Titan a été plus chaud et qu'une vie primitive a pu y apparaître. Elle pourrait se maintenir dans l'épaisseur du satellite, dans les roches qui le composent. Peut être cette vie bactérienne a t'elle disparue, peut être est elle parvenue à s'adapter en survivant dans des zones chaudes, dans l'épaisseur de la croûte de Titan, réchauffée par les forces de marées exercées à la fois par le soleil et surtout par Saturne. Un indice de leur présence serait la production continue et mystérieuse de méthane dans l'atmosphère. Cette production est peut-être due à l'évaporation continue d'océans d'hydrocarbures (ou plutôt de lacs), mais alors qu'est ce que régénèrent ces lacs? La question reste ouverte, d'autant plus que ces étendues ne semblent pas suffisantes pour expliquer le nécessaire renouvellement atmosphérique (Coustenis & al. 1995).


Des molécules non détectées dans l'atmosphère, comme le benzène, le CO2 et C2N2 sont malgré tout détectées dans les gaz de la surface, elles indiquent une chimie de surface active (Nature, web-focus Huygens 2005)


    En effet, on connaît sur Terre des écosystèmes complets basés sur le méthane, et fonctionnant à faible température. Ainsi, des bactéries chimiolithotrophes anaérobies utilisant le méthane vivent en symbiose avec certains vers tel Hesiocaeca Methanolica dans les gisements sous marins d'hydrates de méthane (à des températures voisines de 0°C et sous forte pression, entre 500 et 800 m de profondeur (Suess & al., 1999). Mac Kay et Smith, chercheurs de la NASA, ont calculé (Icarus 178, 274, 2005) que l'énergie libérée par les réactions entre les molécules organiques de Titan et l'hydrogène pouvait subvenir aux besoins du métabolisme de bactéries terrestres comme les méthanogènes. Toutefois, on doit souligner que le méthane liquide n'étant pas un solvant pour ces molécules, les éventuels micro-organismes Titaniens devraient se situer à la surface des éventuels lacs de méthane (ou, plus probablement, à la surface des globules organiques mêlés de méthane constituant certains terrains Titaniens).


    Ces archaebacteries réduisent CO ou CO2 en méthane. Leurs donneurs d'électrons sont l'hydrogène où des molécules organiques simples comme des alcools. Le calcul montre (Fortes, 1999) que le taux de production microbien de méthane est suffisant pour expliquer la production constatée dans l'atmosphère de Titan, pour peu qu'un mécanisme de transport efficace (volcanisme?) lui permette de regagner la surface...

Des communautés bactériennes anaérobies ont aussi été identifiées dans des sources chaudes sous-terraines (Chapelle & al., 2002) qui tirent leur énergie de l'oxydation de l' hydrogène et produisent du méthane selon la réaction:


CO2 + 4 H2 ---> CH4 + 2 H2O + énergie


    Le fait de trouver ces bactéries méthanogènes dans des sources chaudes ne signifie pas qu'elles ne puissent vivre à l'origine dans un environnement plus froid, mais que seule cette niche écologique bien particulière les protège, sur Terre, de la concurrence des bactéries plus "classiques". Comme la décomposition du méthane génère de l'hydrogène, on peut inférer la possibilité que le niveau de base de la "biosphère" titanienne soit constitué de bactéries méthanogènes. Le méthane serait ensuite métabolisé par d'autres bactéries. Certaines d'entre elles pourraient même extraire leurs nutriments de la tholine: Carol Stocker, une scientifique des laboratoires Ames, affiliés à la NASA, a montré (Stoker & al., 1990) qu' une large variété de bactéries (aérobies facultatifs ou anaérobies) communes dans nos sols terrestres (certains Clostridium, Pseudomonas, Bacillus, Acinetobacter, Paracoccus, Alcaligenes, Micrococcus, Corynebacterium, Aerobacter, Arthrobacter, Flavobacterium, Actinomyces) pouvait utiliser la tholine comme source de carbone. Cette métabolisation concerne, selon les cas,  les fractions solides, hydrophiles ou hydrophobes de ce mélange. Cependant, ces expériences n'ont pas été menées à - 180 °C.


    Une autre possibilité a été soulignée par Simakov (1999): des bactéries denitrificantes anaérobies pourraient être à l'origine de l'azote de Titan, ce dernier devant être considéré comme un biomarqueur. Le métabolisme de ces bactéries consomme des ions nitrates NO3- et rejette du N2. Cette production pourrait également se faire à partir de l'ammonium NH4+ qui doit être présent dans les profondeurs du satellite.


A l’appui de cette thèse, on doit souligner la multiplicité des découvertes de bactéries terrestres dans des milieux ayant des points communs multiples avec la surface ou les profondeurs de Titan:

  1. -un écosystème complet comprenant des bactéries, des champignons et des archées a été découvert dans un des trois lacs d’alphalte connus sur Terre ( équipe de Dirk Schulze-Makuch, de l’université d’état de Washington - arxiv.org/abs/1004.2047). Ces lacs sont un milieu à haute température, très pauvre en eau, et contiennent de nombreuses molécules considérées comme toxiques. Ils se rapprochent, la température mise à part, des lacs identifiés sur la surface de Titan. Les bactéries identifiées sont anaérobies, et se procurent leur énérgie en dégradant les hydrocarbures de l’asphalte et en utilisant un type de respiration basée sur l’utilisation de métaux (et non de dioxygène). Leur métabolisme fait appel à des molécules ne comportant qu’un seul atome de carbone.

  2. -La bactérie Chryseobacterium greenlandensis (J. Loveland-Curtze & al., 2008) a été extraite d’une profondeur de 3,2 Km sous la surface gelée du Groenland. Depuis 1200 siècles (!), ces bactéries d’une taille inhabituellement petite (de l’ordre du micron, soit dix fois moins que la plupart des autres bactéries usuelles) patientaient dans la glace, à une température de -9°C, avec moins de 3% de dioxygène, et sous une pression de plusieurs centaines de bar. Elles se sont révélées parfaitement vivantes, leur petite taille étant peut être liée à leur résistance à la pression ainsi qu’à un rapport surface/volume plus favorable à la diffusion des nutriments à travers leur membrane. Ces conditions sont voisines de celles qui peuvent régner dans les profondeurs de Titan, mais aussi d’Encelade, ou de satellites Joviens comme Europe. Ces bactéries montrent que ce ne sont pas les conditions physiques dans ce milieu qui empêche la vie (reste à montrer que cette dernière a pu y apparaître).


  1. -La bactérie Methylomirabilis oxyfera (Ettwig, K. F. et al. Nature 464, 543-548 (2010). Article) se développe dans des boues riches en méthane et pauvre en di-oxygène, sur les rives de certaines rivières ou lacs. Elle tire parti de la «pollution» d’origine agricole consistant en un excès de matière azotée, mais cela au moyen d’un métabolisme totalement inédit: elle oxyde le méthane dans un milieu.... sans oxygène! Pour réaliser ce tour de force biochimique, cette bactérie utilise des nitrites qu’elle réduit (en azote) par une voie nouvelle, ce qui provoque la libération de N2 et O2 (tiens, les deux gaz de l’atmosphère terrestre), l’O2 étant immédiatement utilisé pour oxyder le méthane du milieu, et alimenter ainsi la bactérie en énergie. Accessoirement, comme les composés azotés étaient présents, avec le méthane, dans l’atmosphère primitive, cela signifie que ce type de bactérie a pu constituer une des premières formes de vie terrestres. Cette bactérie montre aussi qu’un métabolisme aérobie peut exister en l’absence de di-oxygène, ce dernier étant produit et consommé localement. Une piste pour une vie extraterrestre peut etre bien moins différente de certaines formes de vie terrestres que l’on pourrait le penser...


Une biochimie exotique ?


Certains biochimistes (Raulin, 1987; Raulin & al., 1995) ont aussi suggéré qu'une vie chimiquement différent de la nôtre ait pu se développer à partir du NH, ce dernier jouant le rôle de O dans nos molécules organiques terrestres. Cette vie "ammoniaquée", pour spéculative qu'elle demeure, offre une voie intéressante à la recherche. Tobias Owen, de l'université d'Hawaii, penche plutôt en faveur d'une vie basée sur des molécules complètement distinctes de celles utilisées sur Terre. Il propose l'existence de "super-enzymes" accélérant les réactions chimiques par grand froid , et considère plus généralement que "Nous sommes fou de rechercher une vie de type terrestre sur d'autres planètes" (we would be foolish to look for life like Earth's on other planets" - New scientist 23/10/2004, p.45).


L’astronome William Bains a réfléchit aux caractéristiques d'une éventuelle vie pluricellulaire qui aurait pu se développer dans l'environnement de Titan, satellite de Saturne. Dans le travail qu’il présente au dernier meeting de la Royal astronomical Society, il met l'accent sur les différences profondes entre ces formes de vies éventuelles et les extraterrestres de fiction disponibles dans l'imaginaire collectif, en se basant sur les caractéristiques du métabolisme des éventuelles (et peu probables) formes de vies Titaniennes.


Bains fait l'hypothèse que le rôle tenu par l'eau sur Terre peut être tenu, sur Titan, par le seul liquide disponible en abondance à la surface, le méthane. L'utilisation de ce solvant implique des divergences profondes entre la biochimie terrestre et celle des "titaniens":


  1. -La variété des atomes composant les molécules "organiques", doit être beaucoup plus grande que celle observée sur Terre (où, pour l'essentiel, toutes les molécules de la vie sont composées de "CHON": carbone hydrogène, oxygène et azote)

  2. -La réactivité chimique doit être nettement supérieure sinon, à -180°C, toute vie serait figée dans le froid. Bien des molécules jugées "instables" sur Terre seraient, à cette température, d'une stabilité parfaite pour un être vivant.

  3. -Le méthane étant un solvant bien moins efficace que l'eau, les molécules de la biochimie titaniennes devront être bien plus petites que celles observées sur Terre. Ainsi, les molécules contenant plus de 6 atomes "lourds" (autre que de l'hydrogène) ne sont pas solubles dans le méthane, alors que la plupart des molécules intermédiaires du métabolisme terrestre comptent 10 atomes "lourds". Au lieu de reposer sur un élément constituant invariablement le squelette moléculaire (le carbone) et portant divers groupements, la biochimie Titanienne serait basée sur des liaisons chimiques bien plus variées et des "squelettes" moléculaires différents.


De fait, la diversité du paysage évolutif chimique et biochimique est bien moindre sur Titan: alors que la vie terrestre a procédé par "sélection" dans une banque de plus de 10 millions de molécules, seuls quelques milliers de composés sont envisageables sur Titan.

    Bains relève également qu'avec la faible quantité d'énergie solaire qui atteint Titan (10 % de celle qui frappe la Terre), les organismes éventuels ne posséderaient pas de ressources suffisantes pour se mouvoir. La vie pourrait donc se limiter à des formes de vie à croissance lente analogues, ou similaires, aux lichens terrestres.


Toutefois, certains aspects du raisonnement de l'astrobiologiste sont contestables:


  1. -Au niveau évolutif, Bains fait, sans le dire, l'hypothèse que la vie sur Titans serait apparie dans l'environnement énergétique et chimique actuel. Ors, le peu que nous savons de l'histoire de Titan nous indique que celle ci a été mouvementée: perte éventuelle de l'atmosphère, modifications de l'orbite... De plus, Bains suppose aussi que ce développement s'est réalisé en surface. Toutefois, il paraît bien plus probable que les conditions favorables au développement d'une vie éventuelle ne se sont pas trouvés réunies (qi tant est qu'elles le furent jamais) à la surface glacée du satellite mais dans ses profondeurs, à des températures et pression permettant l'existence dus variété plus importante de composés chimiques, d'eau liquide (éventuellement) et de sources d'énergie (chaleur interne causée par les effets de marée de Saturne) permettant d'alimenter des synthèses prébiotiques à grande échelle.


Par la suite, secondairement, des adaptations ont peut être permis à ces formes de vies de se développer vers (ou à) la surface, mais il est plus probable que ces éventuels habitants seraient restés confinés dans leur biotope originel, se répandant sous la surface au gré des vicissitudes de l'histoire géologique du satellite.


  1. -Au niveau biochimique, Bains oublie que le métabolisme seul ne fait pas la vie: celle ci, sur Terre, se caractérise par l'édification de polymères, de molécules géantes qui composent la structure même de la cellule et des êtres vivants: les protéines, les glucides, les acides gras sont ainsi des "marqueurs" du vivant sont l'assemblage serait problématique à - 180°C. Sur Terre même, les molécules insolubles dans le sang (protéines, lipides) sont tout de même distribuées par ce dernier grâce à l'existence d'un système de molécules de transport spécifique permettant, sinon de les solubiliser, du moins de les distribuer sans encombre (l'infarctus mis à part !). On peut fort bien imaginer un système de transporteur du même type sur Titan,ce qui fait recule quelque peu la limite des 6 atomes "lourds" pour les plus grands intermédiaires métaboliques des Titaniens putatifs.


  1. -Au niveau énergétique, bien plus que des autotrophes analogues à nos végétaux, il faut plutôt rechercher , contrairement à la terre, des êtres vivants hétérotrophes se nourrissant des molécules organiques se formant dans l'atmosphère du satellite (quitte à entrer périodiquement en vie ralentie, où à développer des formes de transport analogues à des "graines" pour suivre les changements saisonniers...). Il y a bien plus d'énergie disponible par le "craquage" des hydrocarbures formés dans la haute atmosphère et sédimentant à la surface que dans une éventuelle photosynthèse utilisant un soleil palot dont la lueur, les jours de grand beau temps, égale à peine la pleine Lune terrestre....


    Dans l'état actuel de nos connaissances (de notre ignorance, plutôt!), une vie bactérienne sur Titan dépend fortement de l'existence d'un océan enfoui nanti de "points chauds"  dans les profondeurs du satellite. En effet, certains modèles font état de l'existence d'un possible océan souterrain, situé à 30 km sous la surface et profond de 200 km, et composé principalement d'une solution d'ammoniac dans de l'eau (Grasset, 1996; Fortes, 1999). Cet océan pourrait-il abriter la vie? Au vu de l'histoire du satellite et en se basant sur les capacités des bactéries terrestres, la réponse est affirmative. Fortes a effectué une revue des caractéristiques supposées de cet océan englouti résumée dans le tableau suivant:



    Ses conclusions sont résumées ainsi "L'océan primordial d'eau ammoniaquée de Titan est un milieu convenant probablement au développement d'une vie primitive dans l'histoire du satellite. Si cet océan existe encore, il y a une possibilité pour que cette vie subsiste encore. Les conditions régnant dans cet océan, quoiqu'extrêmes par rapport  aux standards terrestres au niveau de la pression et de la température, ne sont pas si drastiques qu'elles s'opposent  à la survie de micro-organismes. (Titan's proposed primitive ammonia-water ocean was probably a suitable habitat for the development of life early in the satellite's history. If this ocean is still present then there is a possibility that life can continue to survive. Conditions in the ocean, while extreme by terrestrial standards in respect of pressure and temperature, do not appear to be so extreme as to preclude the survival of microbial organisms).


    On ne peut négliger également une possible contamination de Titan par des micro-organismes d’origine terrestre: chaque impact météoritique majeur éjecte dans l’espace une importante quantité de matériaux rocheux terrestres, de taille variée, comportant des bactéries potentiellement capables de résister aux conditions d’un voyage interplanétaire.


    Ainsi, une trentaine de météorites d’origine terrestre peuvent atteindre Titan en quelques millions d’années (Gladman & al., 2006), et ce à chaque impact majeur (ou moins une dizaine d’après les traces observables sur notre planète). De plus, Titan présente l’avantage de posséder son atmosphère, qui diminue fortement la vitesse de chute des météorites et permet ainsi une conservation des bactéries panspermiques. Toutefois, la basse température de la surface condamne sans doute ces éventuelles bactéries à demeurer “congelées” dans leur “taxi” de roche, enfouies dans les glaces de Titan. Si on ne peut écarter la possibilité qu’une source de chaleur endogène réactive ces bactéries, cette possibilité est tout de même peu probable.


    D’autres satellites peuvent être aussi contaminés par des échantillons terrestres: chaque satellite de Jupiter reçoit ainsi une centaine d’impacts de roches terrestres provenant d’impacts majeurs sur notre planète, mais leur absence d’atmosphère implique un choc très violent (25 km/s en moyenne) susceptible de vaporiser la roche voyageuse et toutes les bactéries qu’elle peut contenir.


    On doit remarquer que le nombre de météorites contaminées terrestres qui atteignent l’atmosphère de Jupiter est sans doute bien supérieur, impliquant l’existence d’une possible activité biologique dans l’atmosphère de cette planète (hypothèse personnelle).


    L'existence d'une vie pourrait être détectée en se basant sur l'homochiralité (orientation préférentielle dans l'espace des molécules carbonées) qui caractérise sur terre les molécules produites par (ou entrant dans la composition) des êtres vivants. Bien que des processus abiotiques (mais prébiotiques) puissent générer cette homochiralité, leur détection serait une indication majeure selon laquelle Titan est bien engagé, jusqu'à un point inconnu, dans le chemin qui mène à la vie. Dans cette optique, on peut alors regretter, comme A. Brack, que la sonde Huygens ne contienne aucun instrument capable de caractériser l'homochiralité éventuelle des molécules organiques de Titan. D'autres indices pourraient aussi se révéler pertinents.


Indices d'activité biologique


    Les formes de vies terrestres utilisent différemment les isotopes du carbone: le 12C est plus usité que le 13C. Cependant, la valeur du rapport  12C/ 13C connue pour Titan (Hidayat & al. 1997) est trop imprécise pour conclure. L'instrument CIRS de Cassini doit pouvoir mesurer ce ratio.

 

    De la même façon, l'utilisation par les êtres vivants des isotopes de l'azote n'est pas la même. Le rapport 15N/14N peut donc être utilisé, mais il n'a jamais été déterminé sur Titan (Huygens devrait le faire). Cassini a mesuré ce rapport dans la haute atmosphère, et il apparaît un très fort enrichissement en 15N, dépassant tout ce qui a été mesuré dans le système solaire ! Cet enrichissement est sans doute la marque d'une longue fuite de l'atmosphère dans l'espace, ce qui pose le problème de sa régénération. Cela laisse aussi la porte ouverte à une éventuelle contribution biologique à cet enrichissement.


    Tout comme des matériaux remontent de l'intérieur du satellite Europe, des "éruptions" pourraient amener en surface des molécules provenant de l'océan profond. L'homochiralité de molécules rapidement congelées (et observables brièvement avant dissociation) comme des isoprenoïdes ou des cycloterpènes manquerait la première découverte de signes indubitables d'une vie extra-terrestre.


    La photolyse du méthane conduit à l’acétylène, présent dans les atmosphères des planètes joviennes ainsi que sur Titan et, probablement, dans l’atmosphère terrestre primitive. Toutefois, l’acétylène est, pour les organismes terrestres, un inhibiteur du métabolisme anaérobie (méthanogenèse, fixation de l’azote...) Seul le micro-organisme Pelobacter acetylenicus est capable de transformer l’acétylène en acétaldéhyde grâce à l’enzyme acétylène hydratase. Sur Terre, cet acétaldéhyde est ensuite dégradé en éthanol, acétate et dihydrogène). Ce type d’enzyme a dû être important pour permettre l’exploitation d’une source de carbone atmosphérique nouvelle.


      Selon Oremland & al (2008) la présence d’acétylène dans une atmosphère planétaire peut constituer un indice de la présence d’un écosystème extraterrestre anaérobie.


   Les méthodes de détection d’une vie éventuelle dans l'océan souterrain de Titan se basent sur les effets que les déchets gazeux d’organismes pourraient avoir sur la composition chimique et surtout isotopique de l'atmosphère. Ainsi, tout ou partie du CH4 et du N2 dans l'atmosphère actuelle peut être d'origine biologique. Cette approche pose le problème des signes identifiables d'une vie extraterrestre.


Les biosignatures de vie extraterrestres: indices ou preuves?


Pour détecter à distance la présence d'une vie extraterrestre, les astrobiologistes se basent sur les modifications de l'environnement terrestre qui ont été induites par la vie. Parmi ces dernières, on peut séparer les manifestations directes, comme d'éventuels fossiles, et les "biosignatures" constituées par des produits dont l'origine implique la présence, actuelle ou passé, d'êtres vivants. D'emblée il apparait difficile de se baser sur notre connaissance limitée du "phénomène vivant", ce dernier étant limité à la seule planète où nous soyons surs que la vie existe! Toutefois, plusieurs biosignatures ont été proposées. (Il a même été montré qu'il était possible de détecter depuis l'espace la chlorophylle des végétaux terrestres - cf Astronomy and Astrophysics, 392, p231-237, 2002 )

Une fois éliminées les molécules organiques les plus simples (bases azotées, acides aminés les plus simples), dont la synthèse peut être parfaitement abiotique et qui sont manifestement très répandues dans l'univers (a moins que leur synthèse doivent être considérée comme prébiotique, et renforçant alors l'idée d'une large distribution de la vie dans l'univers), il reste les molécules dont la synthèse nécessite un équipement enzymatique, donc des êtres vivants: parmi ces preuves moléculaires, les stéranes (perhydrocyclopentano-phenanthrène  pour les intimes),  des restes de stéroïdes composant des membranes de cellules eucaryotes; ou les triterpènes (précurseurs de stéroïdes comportant 30 atomes de carbone) sont mes plus solides (si toutefois leur présence ne résulte pas d'une contamination du milieu).


Malheureusement, ces molécules se trouvent dans le sol, et ne peuvent donc pas être détectées à distance. Il en est de même des déséquilibres isotopiques signalant le déroulement de processus biologiques comme la photosynthèse (la matière organique d’origine biologique possède un rapport isotopique 13 C/12  plus petit que celui observé dans des molécules organiques d'origine abiotique). On ignore toutefois, parmi les différents fractionnements isotopiques, ceux qui tireraient leur origine d'un métabolisme extraterrestre, et leur mesure doit être réalisée in situ, ce qui limite notre portée au seul système solaire (ce qui ne diminue pas, pour autant, les possibilités de découvertes stupéfiantes…)


Il est beaucoup plus facile d'observer à grande distance une atmosphère et d'en analyser la composition (du moins, en théorie, car l'histoire de l'exploration spectroscopique de notre système solaire doit rendre prudent). L'atmosphère terrestre se caractérise par la présence de di-oxygène, ce gaz très réactif ne se maintenant que grâce à une synthèse continue de la part des végétaux. De plus, notre atmosphère contient aussi du méthane, lequel ne pourrait se maintenir en présence d'O2 s'il n'était pas continument produit par des bactéries. Le couple O2/méthane parait donc être un bon biomarqueur mais, hélas, il existe aussi des mécanisme non biologiques aboutissant à la synthèse de ces deux gaz. Leur présence simultanée correspond donc à un fort indice de vie possible,mais non à une preuve.


C'est pour cela que la détection d'une production de méthane sur Mars il y  a quelques mois, pour excitante qu'elle puisse être, n'est qu'un indice d'une possibilité de vie bactérienne, non une certitude.

Toutefois, cette recherche de processus atmosphériques "hors équilibre", où un produit est constamment renouvelé ou consommé, peut être analysé comme une possible biosignature. C'est pour cela que, dernièrement, deux équipes de la NASA (dirigées par D Strobel et M. Allen)ont proposé que deux déséquilibres atmosphériques détectés dans l'environnement de Titan pourraient être (en plus d'une origine abiotique possible) d'origine biologique.


Le premier déséquilibre concerne le di-hydrogène, ce gaz, provenant de la haute atmosphère de Titan, étant mystérieusement absent de sa surface "comme si il était respiré" indiquent certains sites avec une emphase douteuse et un contresens amusant, la respiration se définissant par rapport à une  consommation de O2 et un rejet de CO2). Visiblement, un ou plusieurs phénomènes chimiques de surface consomment ce gaz. Darrell Strobel, de l'université Johns Hopkins à Baltimore, auteur de l'étude, souligne d'ailleurs que bien que le dihydrogène soit très peu réactif à la température de la surface de Titan (- 180°C), une consommation de ce gaz impliquant tune catalyse minérale à basse température est elle aussi possible.


La seconde équipe met en évidence un déficit en acétylène à la surface de Titan, cette molécule devant être présente dans les lacs de Titan, au vu des chimie atmosphérique, et n'ayant pas été détectée. Comme elle se forme à la surface de la planète, elle doit donc bien être consommée, mais par quel processus? Chris mac Kay (l'astrobiologiste qui avait analysé en détail la météorite ALH84004) souligne que l'acétylène constituerait une "nourriture" de choix pour une (très) hypothétique vie basée sur le méthane (la NASA le souligne d'ailleurs honnêtement dans son communique - http://www.nasa.gov/topics/solarsystem/features/titan20100603.html - "To date, methane-based life forms are only hypothetical". Mark Allen, directeur de l'équipe "Titan" du  NASA Astrobiology Institute, souligne d'ailleurs que le manque d'acétylène pourrait tout aussi bien provenir de l'action de la lumière solaire ou des rayons cosmiques capables de transformer l'acétylène en aérosols ou en d'autres molécules plus complexes ne présentant pas la signature spectrale de cette molécule.


Les déséquilibres chimiques constatés sur dans l'atmosphère de Titan comme dans celle de Mars peuvent donc posséder une explication biologique (encore que cette dernière, sans la connaissance basique d'un métabolisme putatif, ressemble bien plus à un deus ex machina, ou à une farouche volonté de croire, qu'à une possibilité rigoureusement défendable), mais ne sauraient constituer des "preuves" d'une activité biologique, car ils ne sont en aucune façon spécifiques de la présence ou de l'activité de formes de vies.

En fait, seule l'identification directe de structures biologiques actuelles ou passés dans des échantillons prélevés in situ et strictement protégés d'éventuellement contaminations permettra d'identifier, dans le système solaire, les éventuelles formes de vie extraterrestre. C'est pour cela qu'il conviendrait de développer des missions de retour d'échantillons, les "biomarqueurs" insinuant seulement quels sont les corps célestes qui doivent être, en toute priorité, étudiés au plus vite (et qui incluent donc Mars, Titan, mais aussi Europe, Encelade et, pour l'auteur de ces lignes, l'atmosphère Jovienne).


La vie, si elle a pu apparaître sur Titan, a donc pu emprunter plus d'un chemin. Si elle ne s'est pas éteinte, il est tout à fait possible qu'il y existe des formes de vies peu nombreuses, mais bien plus différentes entre elles que ne le sont les formes de vies terrestres qui, partageant une origine commune, portent toute en leur sein biochimique la marque de leur indéniable patentée.